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L’enfant et le vapotage passif
Luc RÉFABERT, Allergo-pneumo-pédiatre, Paris

La forte progression des ventes de cigarettes électroniques pose de nombreuses questions qui interrogent toute la population, mais nécessitent des réponses d’autant plus urgentes qu’elles concernent également les enfants et les adolescents. On connaît bien la réalité et la nocivité du tabagisme passif. Qu’en est-il du vapotage passif ?
Qu’est-ce qu’une cigarette électronique ? Les cigarettes électroniques ne sont pas des cigarettes. Ce sont les consommateurs eux-mêmes qui ont créé ce terme. Il s’agit de systèmes de délivrance de nicotine qui ne contiennent pas de tabac. La nicotine est délivrée sous forme de vapeur mais sans fumée, c’est-à-dire sans combustion. Ainsi, ce produit se rapproche plus des substituts nicotiniques que des cigarettes. La nicotine est une drogue addictive qui peut être toxique à très faible dose. Toutefois, certaines cigarettes électroniques ne contiennent pas de nicotine, et la toxicité de la fumée de tabac est due également à de nombreux autres composants, beaucoup plus toxiques que la seule vapeur de nicotine. Que contient le liquide des cigarettes électroniques ? Le liquide des cigarettes électroniques est principalement constitué d’un mélange de propylène glycol et de glycérol (75 %), d’eau (4 %), de nicotine (2 %), d’arômes (2 %), et parfois d’alcool. Le propylène glycol C’est un produit connu de longue date et utilisé comme antigel dans l’agro-alimentaire. Mais il ne faut pas le confondre avec l’éthylène glycol, qui est très toxique et utilisé comme liquide de refroidissement des moteurs de voiture. Le propylène glycol entre aussi dans la composition des produits de beauté, et comme excipient dans les médicaments. Depuis des décennies, on s’en sert pour fabriquer les fumigènes des discothèques et sur les plateaux de cinéma (le propylène glycol se vaporise à 55-60 °C), sans qu’aucune intoxication n’ait été rapportée. Le seul rapport connu à ce jour sur le propylène glycol est celui de l’INRS (Institut national de recherche et de sécurité) qui date de 1994 et conclut en substance à la non-toxicité du produit, aussi bien en ingestion de forte dose qu’en inhalation et contact cutané (1). Toutefois, on peut se poser la question de la toxicité de son inhalation à long terme chez les personnes souffrant d’asthme (on pense en particulier aux nourrissons asthmatiques) ou de bronchite chronique. Les arômes De très nombreux arômes sont utilisés. Certains sont résistants à la température, mais pour bon nombre d’entre eux, ce para mètre reste inconnu. Il n’existe pas de tableau simplement consultable indiquant les résistances aux températures des arômes alimentaires. Ces arômes ont été validés pour l’industrie agro-alimentaire, mais peu parmi eux ont été testés pour une inhalation. On sait que leur toxicité peut dépendre des circonstances d’utilisation et des doses. Pour certains arômes utilisés, des études ont montré une toxicité pour les cellules respiratoires (2). Les alcaloïdes du tabac et les nitrosamines Des traces de nitrosamines (cancérogènes du tabac) sont trouvées dans certaines cigarettes électroniques, mais dans une proportion identique à celle des substituts nicotiniques, c’est-à-dire à l’état de traces (3). Il y a 300 à 1 400 fois moins de nitrosamines dans une cigarette électronique que dans une cigarette de tabac. Il faut souligner toutefois que cela concerne le contenu de la cartouche et de la cigarette, mais pas le contenu de la fumée ou de la vapeur inhalée. Du fait de la température de combustion beaucoup plus importante d’une cigarette que celle de vaporisation du propylène glycol pour les cigarettes électroniques, on peut s’attendre à une quantité plus importante de nitrosamine dans la fumée de tabac. De plus, 56 carcinogènes ont été identifiés à forte concentration dans la fumée de tabac, alors qu’aucun autre ne l’a été dans la vapeur de cigarette électronique. Sans parler des 4 000 toxiques et carcinogènes recensés dans la fumée de tabac. Les métaux Certains modèles de cigarettes électroniques génèrent des taux détectables de métaux tels que : nickel, cadmium, argent, fer, étain, et des cristaux microscopiques d’étain, qui émanent des soudures des joints (4). La nature et la quantité des métaux émis dépendent des modèles, et leur taux est généralement faible, mais les effets d’une inhalation prolongée sont encore inconnus. Les particules L’aérosol émis par les cigarettes électroniques est constitué de particules fines et ultrafines en phase gazeuse. Il a été montré que la concentration de nombreuses particules dans l’aérosol de cigarettes électroniques était comparable à celle mesurée dans la fumée de tabac. Le nombre de particules semble influencé par la présence de nicotine dans les cigarettes électroniques. Plus la quantité de nicotine est importante, plus le nombre de particules l’est aussi (5). La taille des particules émises par les cigarettes électroniques étudiées est similaire à celle de la fumée de tabac. Elles peuvent pénétrer dans le poumon profond et passer dans la circulation sanguine. Pour le moment on ne sait pas si leur toxicité est différente de celle des particules de l’air ambiant et de celles générées par les cigarettes de tabac. La nicotine La plupart des liquides de cigarettes électroniques contiennent de la nicotine : 24, 18, 12 ou 6 mg/ml. Le plus souvent, le volume de la cartouche est de 10 ml, soit 240 mg de nicotine pour un dosage de 24 mg/ml. En comparaison, une cigarette contient 10 à 15 mg de nicotine mais on en inhale environ 1 mg par cigarette fumée. La majorité des recharges d’e-liquides ont un volume de 10 à 30 ml mais peuvent atteindre 100 ml avec des concentrations en nicotine allant de 0 à 20 mg/ml. La dose létale est de 40 à 60 mg chez l’enfant et de 0,8 à 1 mg/kg chez l’adulte non fumeur. En pédiatrie, le principal danger consiste en l’ingestion accidentelle du liquide. La concentration en nicotine des recharges est suffisante pour que l’ingestion de quelques millilitres puisse causer le décès d’un enfant (6-9). Le vapotage passif est-il dangereux ? L’étude in vitro, sur des lignées cellulaires, de quelques aérosols de cigarettes électroniques (mais pas toutes) a montré une légère toxicité, très inférieure à celle mesurée avec la fumée de tabac (2,10). Cependant, une étude très récente indique que la vapeur de cigarette électronique entraîne des modifications de l’ADN et des morts cellulaires indépendamment de la présence de nicotine (11). Les études in vivo montrent que l’aérosol des cigarettes électroniques n’est pas toujours dénué de toxiques. T. Schripp et coll. (12) ont étudié les émissions passives en demandant à un volontaire d’utiliser une cigarette électronique dans une pièce fermée et étanche. L’analyse de l’air de la pièce a mis en évidence la présence de formaldéhyde, acroléine, isoprène, acétaldéhyde et d’acide acétique mais à des niveaux 5 à 40 fois inférieurs à ceux de la fumée de tabac. W. Schober et coll. (13) ont demandé à 3 volontaires d’utiliser une cigarette électronique (contenant propylène glycol, glycérine et 22 mg de nicotine) à volonté pendant 2 heures dans une pièce ventilée de 45 m 3. L’utilisation de cigarettes électroniques augmentait significativement les particules fines PM 2,5, le propylène glycol, la nicotine, la glycérine mais pas le formaldéhyde, le benzène, l’acroléine ou l’acétone. Il a également été constaté un accroissement de 30 à 90 % de composés aromatiques poly cycliques et une augmentation de 2 à 4 de la concentration en aluminium de l’air ambiant, mais sans comparaison avec la fumée de cigarette. J. Czogala et coll. (14) ont comparé le niveau de nicotine de l’air ambiant d’une pièce ventilée où avaient été utilisées soit des cigarettes électroniques soit des cigarettes de tabac. Le taux de nicotine dans l’air ambiant lors de l’utilisation de cigarettes électroniques était égal à environ 10 % de celui de cigarettes de tabac : 3,3 contre 31,6 µg/ml. Pour les particules fines (PM 2,5), ce niveau était de 18 %. La quantité de nicotine et de particules fines dans l’air ambiant provoqué par le vapotage n’est donc pas négligeable. Est-ce que cette nicotine et ces particules dans l’air ambiant ont une importance pour le non-fumeur ? L’on pense au nourrisson dans les bras de ses parents ou dans l’habitacle d’une voiture où quelqu’un vapote. A.D. Flouris et coll. (15) ont soumis 15 non-fumeurs placés dans une pièce ventilée de 60 m 3, soit à une heure de tabagisme passif (à un niveau comparable à celui d’un bar fumeur) soit à une heure d’aérosol de cigarettes électroniques généré par une machine à fumer. Les résultats montrent un taux de nicotinémie comparable dans les deux cas : 2,6 contre 2,4 ng/ml. Le passage dans le sang de la nicotine semble donc tout à fait comparable, qu’un non-fumeur soit soumis à de la fumée de cigarette ou à de la vapeur de cigarette électronique. Le tabagisme passif n’est pas seulement lié aux fumées et aux vapeurs. Il peut également concerner le dépôt des toxiques du tabac sur les surfaces et sur les vêtements. Il est décrit depuis plusieurs années pour le tabac (16). Pour les vapeurs de cigarettes électroniques, les études sont plus récentes. M.L. Goniewicz et coll. ont montré qu’après vapotage expérimental, la quantité de nicotine déposée sur le sol et sur les vitres était multipliée respectivement d’un facteur 47 et 6 (16). On pense bien évidemment au risque d’exposition à la nicotine d’un nourrisson qui marche à quatre pattes sur le sol d’un logement où ses parents vapotent. Nicotine et fœtus Les adolescentes et les jeunes femmes doivent être averties que la nicotine passe remarquablement bien le placenta (17). Les effets malformatifs de la nicotine sur le fœtus concernent principalement le système respiratoire. N.N. Dhalwani et coll. ont étudié le lien entre les malformations néonatales de près de 200 000 nourrissons et la consommation de nicotine (18). Parmi toutes les malformations, seules celles concernant l’appareil respiratoire étaient significativement plus élevées chez les femmes soumises à la nicotine, avec un risque multiplié par 3. La nicotine a de nombreux effets sur le poumon fœtal : diminution du volume et de la taille pulmonaire, augmentation des cellules alvéolaires de type II, augmentation de la taille et du nombre des corps neuroendocrines, augmentation du collagène de
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