Aller au contenu principal
TwitterFacebookLinkedinPartager

Pneumologie

Publié le  Lecture 14 mins

La cigarette électronique : où en est-on ?

G. DUBOIS, membre de l'Académie nationale de médecine

La cigarette électronique s’est imposée rapidement sur le marché français et international, mais elle inquiète car elle pourrait ne pas être sans danger, représenter un moyen d’initiation des jeunes à la nicotine, et rendre impossible l’application de fumer du tabac dans les lieux clos et couverts. Sa place comme moyen d’arrêt du tabac est en cours d’évaluation. Les études, encore partielles mais rapidement évolutives, indiquent que si la cigarette électronique doit être surveillée et réglementée, elle est aussi une opportunité nouvelle car son développement est accompagné d’une baisse notable du tabagisme en France.

Le tabac dans le monde Le tabac tue un fumeur sur deux, soit en France 78 000 personnes par an ou 215 par jour. C’est une menace sévère et à court terme chez la femme enceinte. Le tabac est la première cause évitable de décès dans le monde (1,2). L’industrie du tabac développe pourtant des trésors d’ingéniosité pour maintenir, voire renforcer, l’addiction des fumeurs et rendre dépendants enfants et adolescents (3). Les mesures efficaces contre le tabac font l’objet d’un tel consensus scientifique qu’elles sont réunies dans un traité international (la Convention cadre de lutte anti-tabac ou CCLAT) ratifié par la France dès 2004 : interdiction de la publicité, augmentation dissuasive et répétée des taxes, protection des non-fumeurs, éducation et aide à l’arrêt de la consommation. En France, un certain nombre de mesures ont été prises par des gouvernements successifs depuis la loi Veil de 1976. La mesure la plus dissuasive auprès des fumeurs est l’augmentation répétée des taxes (4). Les augmentations qui ont suivi la loi Evin de 1991 à 1997, le Plan cancer de Jacques Chirac et Jean-François Mattéi (20032004) avec un triplement des prix, ont réduit de moitié les volumes de ventes de tabac d’une part, et les cancers du poumon des hommes de 3544 ans d’autre part. La promotion des thérapeutiques du sevrage tabagique (1997-2002), l’aide à ce sevrage avec un forfait de prise en charge par l’Assurance maladie ne sont pas des mesures suffisantes pour avoir un impact mesurable sur le niveau du tabagisme. La période de 2004 à 2011 est en opposition par rapport aux engagements pris par la France en ratifiant la CCLAT. La cogestion du marché par le ministère du Budget et l’industrie du tabac a conduit à des augmentations de prix (et non de taxes) destinées à augmenter les profits tout en maintenant le volume des ventes (5). La cigarette électronique ou e-cigarette a fait une entrée remarquée, et a modifié le paysage de la lutte contre le tabagisme depuis 2012. La cigarette électronique ou e-cigarette Inventée en Chine par Hon Lik en 2006, la cigarette électronique de deuxième ou troisième génération est disponible sur un marché qui se développe de manière spectaculaire (6,7). En France, en 2014, on estime à 3 millions (6 % des 15-75 ans) le nombre d’utilisateurs, dont 57 % « vapotent » de manière quotidienne. Si 12 millions de Français ont essayé l’e-cigarette, soit plus du quart des Français, 98 % sont des fumeurs ou ex-fumeurs ; chez les non-fumeurs, seulement 5,6 % l’ont essayée (8). Le principe de la cigarette électronique est de provoquer par un chauffage doux (environ 60 °C) un aérosol plus ou moins concentré en nicotine. Contrairement à la cigarette traditionnelle, pour laquelle la température du foyer peut atteindre 500 à 700 °C, il ne s’agit pas d’une combustion. Le principal composant de l’aérosol est le propylène glycol ou le glycérol, auxquels peuvent s’ajouter de la nicotine, de l’eau, de l’éthanol et des arômes. La plupart des inhalateurs électroniques de nicotine prennent la forme des produits classiques du tabac (cigarettes, cigares, cigarillos, pipes ou pipes à eau). Les différences de voltage de la batterie et des résistances des circuits entraînent une variabilité de la quantité d’aérosol et peuvent ainsi influer sur la disponibilité de la nicotine et des autres constituants. Le comportement de l’utilisateur peut aussi modifier la résorption de la nicotine par la durée des bouffées, la profondeur et la fréquence des inhalations. Certains utilisateurs modifient ces dispositifs pour régler la diffusion de nicotine. Les recharges de nicotine sont de différents dosages. En France, quatre dosages sont proposés (3 à 6 mg/ml, 7 à 12 mg/ml, 13 à 17 mg/ml et 18 à 20 mg/ml). La directive européenne du 3 avril 2014 sur les produits du tabac interdit les concentrations supérieures à 20 mg/ml. L’e-cigarette peut aider une démarche de réduction des doses vers l’abstinence nicotinique. Si l’usage de l’e-cigarette provoque un throat hit apprécié des fumeurs, il entretient aussi leur gestuelle et permet donc l’inhalation de nicotine. Avec une cigarette classique, la nicotine parvient au cerveau en 7 secondes et sa concentration plasmatique dépasse 26 mg/ml en moins de 10 minutes. L’e-cigarette conduit à un passage moins rapide de la nicotine vers le cerveau. Avec les e-cigarettes de deuxième et troisième générations, la délivrance de la nicotine se rapproche désormais de celle obtenue avec une cigarette traditionnelle, mais les bouffées restent plus étalées au cours de la journée. Toxicité comparée de la cigarette électronique En ce qui concerne la cigarette électronique, nous ne disposons à l’heure actuelle que d’une étude comparative de toxicité à long terme qui ne laisse pas apparaître, comparée aux timbres de nicotine, d’effets secondaires sérieux. Les études de toxicité à court terme sur des cultures de fibroblastes, montrent que les liquides des e-cigarettes sont beaucoup moins toxiques que la fumée du tabac. De plus, l’aérosol (communément appelé « vapeur ») émis par l’e-cigarette à la température d’environ 60 °C ne contient pas les substances toxiques liées à la combustion comme le monoxyde de carbone ou les goudrons. Quant aux principaux composants des e-liquides : le propylène glycol, également utilisé comme additif alimentaire, n’a aucune toxicité à court terme à la température de 60 °C, la dégradation du glycérol en produits toxiques n’est significative qu’au-delà de 250 °C. Les concentrations de carcinogènes (formaldéhyde, acétaldéhyde, acroléine, toluène, nitrosamines) sont de 9 à 450 fois moins élevées qu’avec la cigarette traditionnelle. La combustion du tabac d’une cigarette classique produit 7 000 composants, dont plus d’une centaine sont cancérigènes. La toxicité du tabac est aussi celle du monoxyde de carbone qui se fixe sur l’hémoglobine. Quant à la nicotine, qui reproduit au niveau des récepteurs nicotiniques les effets de l‘acétylcholine, elle stimule le « système de récompense », avec une libération de dopamine au niveau du noyau accumbens associée à une sensation de plaisir. Quand elle cesse, le déplaisir, la frustration, l’irritabilité conduisent à fumer de nouveau. Pour accroître la libération de dopamine, à partir de laquelle s’édifie l’addiction, les fabricants de cigarettes ajoutent au tabac diverses substances : ammoniaque pour accroître la proportion de nicotine libre, chromones dont la combustion donne naissance à des aldéhydes volatils (formaldéhyde, acétaldéhyde, propionaldéhyde, acroléine…) qui inhibent la mono-amine oxydase, enzyme de dégradation de la dopamine. Finalement la toxicité de l’e-cigarette est bien moindre que celle du tabac fumé, car elle est amputée de celle des substances cancérigènes, de celle de l’oxyde de carbone et de la présence des aldéhydes volatils qui accroissent les effets recherchés de la nicotine. C’est donc un outil utile à la réduction de la mortalité, mais aussi de la morbidité tabagique. On peut alors s’étonner des reprises récurrentes et fortement médiatisées d’études expérimentales sur les effets toxiques des aérosols de cigarette électronique, alors que tous ces effets étaient largement inférieurs à ceux de la fumée de cigarettes. Il en est ainsi de l’étude des effets sur l’ADN et la mortalité cellulaire qui conclut de manière alarmiste sur des effets in vitro constatés avec des expositions de 1 à 8 semaines alors que la fumée de tabac avait tué toutes les cellules en un jour (9). L’intérêt de l’e-cigarette réside, en outre, dans le possible recours à des recharges de concentrations décroissantes de nicotine, pour aller progressivement vers l’abstinence complète et définitive. Leur composition précisée et contrôlée devrait répondre aux normes AFNOR publiées en mars 2015, mais celles-ci ne sont pas obligatoires. même s’il est difficile de quantifier précisément la toxicité à long terme de la cigarette électronique, celle-ci est à l’évidence infiniment moindre que celle de la cigarette traditionnelle. Cigarette électronique versus traitement par substitution nicotinique Un rapport (6) remis en mai 2013 au ministre français en charge de la santé faisait le point sur le sujet. L’accord semble général pour dire que ce produit est moins dangereux que la cigarette traditionnelle. Une métaanalyse (10) sur treize études dont deux contrôlées et randomisées montre que la cigarette électronique avec nicotine a deux fois plus de chance de conduire à un arrêt complet d’au moins six mois que celle sans nicotine (risque relatif, RR = 2,29 ; intervalle de confiance, IC 95 % 1,05 à 4,96) ; davantage de fumeurs avaient réduit d’au moins 50 % leur consommation (RR = 1,31 ; IC 95 % 1,02 à 1,68). Sur ce dernier point, l’e-cigarette fait mieux que les timbres à la nicotine (RR = 1,41 ; IC 95 % 1,20 à 1,67). Aucun événement indésirable grave n’a été décrit dans ces études. Ces résultats sur de faibles effectifs demandent à être confirmés. L’ecigarette n’est aujourd’hui recommandée par aucune organisation officielle (OMS, HAS, DGS...) mais la HAS considère en revanche que « du fait de sa toxicité beaucoup moins forte qu’une cigarette, son utilisation chez un fumeur qui a commencé à vapoter et qui veut s’arrêter de fumer ne doit pas être découragée » (11). L’Inpes estime cependant en 2015 que 400 000 personnes ont cessé de fumer en France grâce à la cigarette électronique. Une incitation forte devrait être faite pour que ce dispositif soit mis au service de l’instauration de l’abstinence. L’Académie de médecine propose même que d’éventuelles recharges contenant des concentrations de nicotine supérieures à 20 mg/ml ou revendiquant un effet bénéfique à la santé (aucune n’est actuellement sur le marché) devraient avoir le statut de médicament et disposer d’une AMM avec procédure simplifiée. En effet, il s’agit d’une variante du spray de nicotine déjà sur le marché. Le statut de médicament permettrait à l’assurance maladie de l’inclure dans le forfait de prise en charge du sevrage

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :