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ORL

Publié le  Lecture 15 mins

Comprendre le bilan vocal

Mathilde COMBES*, Antoine GIOVANNI**, *orthophoniste, **ORL-phoniatre, Paris

Le bilan de la voix est un peu le parent pauvre de la pratique ORL car il est fréquent que le praticien se sente insuffisamment compétent et formé pour se « lancer ». Il constitue pourtant le lien indispensable entre les différents intervenants : le patient, le prescripteur et le rééducateur.

Nous proposons donc ici un bilan pragmatique et à portée de tous : médecins ORL, phoniatres et orthophonistes, sans équipement excessivement coûteux ou complexe. Il va sans dire que ce bilan ne prétend pas à l’exhaustivité. Nous avons dû sélectionner certaines épreuves et en éliminer arbitrairement d’autres, afin d’en recueillir l’essentiel pour obtenir un bilan pertinent et facile d’accès en tout point. Qu'est-ce qu'un bilan de la voix ? Les éléments qui constituent le bilan de la voix peuvent être classés en trois catégories. Le diagramme de la figure 1 illustre son organisation générale. Il convient d’abord de déterminer le « mécanisme de la dysphonie » au niveau des cordes vocales, ce qui revient nécessairement au praticien qui réalise l’examen des cordes vocales (c’est-à-dire, en 2016, au médecin ORL). Puis ce que nous appelons le « tronc commun » du bilan consiste à déterminer une sorte d’état des lieux quantifiant ou au moins précisant la demande du patient, évaluant la qualité globale de sa voix. Enfin, nous avons appelé « bilan adaptatif » la partie du bilan qui répondra directement aux besoins de la prise en charge. La connaissance des grands principes des techniques de rééducation est donc nécessaire à ce stade et permettra de cibler les épreuves à utiliser dans tel ou tel cas. Cette deuxième partie du bilan est plus spécifiquement tournée vers la rééducation et elle peut être parfaitement déléguer à l’orthophoniste qui prendre en charge le patient. Figure 1. Organisation d’un bilan de la voix. Déterminer le mécanisme de la dysphonie Il s’agit de déterminer ce qui ne fonctionne pas dans le mécanisme de production de la voix. C’est la partie la plus familière aux médecins ORL et qui fait partie intégrante de la consultation. Il ne s’agit pas vraiment de ce qui peut être codifié sous le terme de « bilan de la phonation » mais son intrication avec le bilan est telle que nous devons la présenter ici. La détermination du mécanisme de la dysphonie est le point de départ sans lequel aucun bilan de voix ne peut être réalisé. Rappelons qu’un examen des cordes vocales en phonation est le préalable nécessaire et incontournable de tout bilan vocal et de toute prise en charge. Il s’agit d’abord de définir au mieux l’aspect de la lésion pour en tirer des suppositions sur ses possibilités évolutives. Par exemple, il est classique de dire qu’un polype (figure 2 A) a généralement peu tendance à évoluer favorablement sans chirurgie alors que les nodules (figure 2 B) auraient davantage de possibilités de disparition grâce à la rééducation. Même si ces deux affections procèdent du même mécanisme pathologique (1), il est clair que l’examen du larynx a pour mission de définir si la lésion observée a des «ŽchancesŽ» de pouvoir diminuer grâce à la rééducation. Il n’existe malheureusement pas de règle très précise et très fiable pour cela, et c’est finalement l’expérience du laryngologiste qui fera la différence. Figure 2. Mécanisme de la dysphonie, avec des nodules (A) ou en présence d’une polype (B). Il s’agit de généralités sans aucune certitude mais sur la base desquelles la plupart de médecins même très spécialisés fonctionnent. Lorsque la lésion est bénigne, la question se pose de juger quelle est la relation entre ce que l’on voit et ce que l’on entend. C’est, par exemple, le cas lors d’une paralysie laryngée unilatéraleŽ : immédiatement après le mot immobilité, apparaît dans le compte rendu d’examen «Ž en abduction, en position intermédiaire, etc.Ž». Il en est de même d’un polype qui peut être situé sur le bord libre (et gène donc la phonation) ou davantage sur le bord supérieur de la corde (et gênera donc moins). Il s’agit donc de l’interprétation de l’effet mécanique de la lésion observée. Cette analyse est cruciale en regard d’une éventuelle thérapeutique chirurgicale, qui est un traitement rigoureusement mécanique. Le compte rendu du praticien qui examine le larynx doit donc être le plus explicite possible sur ce point. Le transfert au rééducateur d’une photo ou d’un enregistrement vidéo de l’examen avec la lumière stroboscopique sera une aide extrêmement précieuse. Au total, les situations les plus fréquentes entrent dans un petit nombre de catégories qui peuvent être partagées entre les médecins prescripteurs et les rééducateurs : les lésions dont l’exérèse chirurgicale est programmée (nodules, polypes, kystes, etc.). Ici, le bilan a une vocation de conservation de la voix préopératoire et de quantification de la problématique. Il est à notre avis utile que ce bilan soit réalisé systématiquement et préférentiellement par le rééducateur qui s’occupera du patient ensuite ; les lésions dysfonctionnelles principalement nodulaires ou « prénodulaires » dont on espère la guérison par la rééducation. En plus, de l’objectif visé ci-dessus de quantification de la voix, le bilan s’attache particulièrement à évaluer les éléments du cadre dans lequel sera conduite la thérapeutique, c’est-à-dire le forçage vocal ; les patients présentant essentiellement une fuite glottique (immobilités laryngées notamment). Le traitement aura pour objectif mécanique de diminuer cette fuite et le bilan devra être particulièrement détaillé sur ce point ; les états cicatriciels des cordes vocales (incluant d’une certaine manière les situations consécutives au traitement d’une néoplasie). Ces situations sont les plus difficiles et combinent en réalité dans bien des cas les différentes catégories citées ci-dessus. Ce groupe de pathologies ne sera pas évoqué. Il existe bien sûr d’innombrables cas particuliers, mais cette classification reste pertinente au regard de la stratégie de bilan qui est la nôtre. Le cas particulier des aphonies psychogènes ne sera pas ici abordé. Le tronc commun du bilan Quelle que soit la situation glottique, le bilan doit être complété par une analyse de la plainte du patient, ainsi que par une observation de sa voix à la fois sur le plan perceptif et instrumental. Il est important de préciser d’emblée qu’il n’existe aucune mesure ou ensemble de me sures faisant consensus entre les spécialistes, et que les mesures instrumentales actuellement disponibles pour les praticiens ne disposent pas du caractère de fiabilité et d’expertise que prétendent parfois les commerciaux des différentes firmes. Cette partie du bilan relève indifféremment des compétences de l ’ORL phoniatre (codification GKQP001 + GKP010) ou de l’orthophoniste (AMO 24). L’interrogatoire La plainte du patient doit faire l’objet d’un interrogatoire le plus complet possible pour analyser à la fois son histoire et sa place dans la vie du patient. Cet interrogatoire peut être complété par un questionnaire plus ou moins normalisé, le plus connu étant le Voice Handicap Index (2). Cet autoquestionnaire, rempli par le patient, permet de donner une évaluation chiffrée de l’impact du trouble vocal sur sa vie dans des situations courantes (parler dans des milieux bruyants, avoir une conversation téléphonique, etc.). Malgré ses insuffisances, il constitue une source d’information importante pour le médecin et le rééducateur. L’analyse perceptive Quelles que soient nos compétences et notre expérience, nous avons tous un avis sur la voix du patient et nous mettons nos propres mots sur la dysphonie que nous entendons. Parallèlement, il existe des échelles pour évaluer différents paramètres de la voix. L’échelle d’Hirano (GRBAS) est fréquemment utilisée. Elle permet de coter à l’écoute de la voix le grade globale (G), c’est-à-dire l’impression générale de la dysphonie mais aussi les impressions de raucité (R), de souffle (B), d’asthénie (A) et de serrage (S). Chaque paramètre est noté de 0 (absence de dysphonie) à 3 (dysphonie sévère). Si les deux derniers items ont été quasi abandonnés au fil du temps par la plupart des cliniciens, les paramètres R et B permettent assez aisément de quantifier la présence de raucité et de souffle dans la voix qui sont deux composantes majeures que l’on retrouve dans les dysphonies. Il s’agit d’un outil accessible grâce auquel l’utilisateur ne se sent pas contraint par l’échelle, puisqu’elle est très facilement manipulable. Comme avec les autoquestionnaires, cette analyse normalisée a surtout pour but de fournir un cadre général (voix plutôt rauque ou plutôt soufflée), mais certaines dimensions sont laissées dans l’ombreŽ : timbre, résonance, instabilité, hauteur, intensité. Une analyse perceptive la plus fine et la plus détaillée possible devra donc préciser au mieux ce qu’il est possible d’entendre dans la voix du patient. Dans ce but, il est évidemment nécessaire d’enregistrer la voix du patient pour pouvoir l’écouter de façon répétée. L’enregistrement de la voix est donc un élément clé du bilan puisqu’il permet d’évaluer l’évolution de la dysphonie avant, pendant et après la rééducation orthophonique. Un enregistrement vocal de qualité nécessite du soin et un minimum de matériel, vite amorti du reste (attention à l’arrière-plan sonore et aux bruits ambiants). Sur le plan matériel, on ne peut pas se contenter d’enregistrer directement sur un ordinateur ou via un microphone connecté à un ordinateur, la carte son des ordinateurs étant généralement de qualité très insuffisante pour cela. Plusieurs solutions existent pour avoir un enregistrement d’une qualité exploitable. Il est possible d’utiliser un enregistreur numérique type Zoom (compter environ 250 euros) ou un microphone et une carte son externe connectée en USB avec le micro-ordinateur (compter entre 250 et 500 euros pour l’ensemble). Il est même envisageable d’utiliser un smartphone avec précautionŽ ; la qualité perceptive des enregistrements réalisés avec ces derniers est remarquable, à condition de reproduire la voix avec un casque ou un système d’enceinte extérieure performant. L’enregistrement d’un texte lu permet un certain degré de standardisation mais son aspect impersonnel impose l’enregistrement de la parole spontanée. De plus en plus, de rééducateurs utilisent

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