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COVID-19 et maladie thromboembolique veineuse
Léa CACOUB1, Patrice CACOUB2*, Hôpital Lariboisière, Paris

La COVID-19, maladie virale causée par un nouveau coronavirus, le SARS-CoV-2, est considérée comme une pandémie par l’Organisation mondiale de la santé(1-3). L’Europe, et particulièrement la France, est fortement touchée. La pandémie de COVID-19 peut affecter de plusieurs manières la prévention et la prise en charge des maladies thrombotiques, et thromboemboliques artérielle ou veineuse.
Premièrement, les manifestations cliniques de la COVID-19, parmi lesquelles l’hypoxie, peuvent prédisposer les patients à des événements thrombotiques. Les premières données chinoises ont suggéré l’existence de troubles de l’hémostase, pouvant aller jusqu’à une pseudo-coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) chez les patients COVID-19 (4,5). L’intensité de la réponse inflammatoire et la gravité de la maladie peuvent prédisposer à des événements thrombotiques, comme ce fut le cas lors de précédentes flambées de coronavirus zoonotiques (6,7). Deuxièmement, certaines thérapeutiques actuellement à l’essai dans la COVID-19 peuvent avoir des interactions avec les traitements antiagrégants et anticoagulants. Troisièmement, la pandémie, en raison de l’allocation des ressources ou des recommandations de distanciation sociale, peut avoir un effet collatéral négatif sur la qualité des soins des patients qui ne sont pas atteints de COVID-19 mais qui présentent des événements thrombotiques. Dans cette revue, nous allons nous centrer sur la maladie veineuse thromboembolique (MTEV) au cours de la COVID-19. Incidence de la MTEV au cours de la COVID-19 Peu d’études ont rapporté l’incidence de la MTEV chez les patients atteints de COVID-19. Dans une étude rétrospective réalisée en Chine, parmi 81 patients atteints d’une forme grave de COVID-19 et admis aux soins intensifs, 20 patients (25 %) ont développé une MTEV aiguë ; aucun des patients n’avait reçu de prophylaxie contre la MTEV (8). Dans une étude portant sur 184 patients atteints de forme grave de COVID-19 et provenant de 3 centres médicaux universitaires aux Pays-Bas, les auteurs ont rapporté que 31 % (IC95% [20-41]) des patients ont développé une MTEV aiguë. Tous les patients avaient reçu une prophylaxie pharmacologique, bien qu’un sous-dosage ait été observé dans 2 des 3 centres participants (9). Il est probable que la MTEV soit sous-diagnostiquée chez les patients atteints de COVID-19 graves. En faire le diagnostic est très important, car le SDRA chez les patients atteints de COVID-19 est en soi une étiologie potentielle de vasoconstriction pulmonaire hypoxique, d’hypertension pulmonaire et d’insuffisance ventriculaire droite. Une dégradation supplémentaire du fonctionnement du système vasculaire cardio-pulmonaire due à une EP peut avoir des conséquences extrêmement graves et irréversibles. Diagnostic de MTEV chez les patients COVID-19 Des niveaux élevés de D-dimères sont fréquents chez les patients atteints de COVID-19 (10), et ne justifient pas un dépistage systématique de MTEV aiguë en l’absence de manifestations cliniques. Un examen de dépistage doit être rapidement envisagé en cas de symptômes typiques de thrombose veineuse profonde (TVP), d’hypoxémie disproportionnée par rapport à l’atteinte pulmonaire de la COVID et aux pathologies respiratoires préexistantes ou d’apparition d’une dysfonction ventriculaire droite aiguë inexpliquée. Un défi diagnostique se pose chez les patients atteints de COVID-19, car les examens d’imagerie utilisés pour diagnostiquer une TVP ou une EP peuvent être d’accès difficile en raison du risque de transmission de l’infection à d’autres patients ou au personnel de santé, ou en raison de l’instabilité du patient. Les examens d’imagerie peuvent s’avérer difficiles à réaliser dans le cas de patients atteints d’un SDRA grave qui doivent être placés en décubitus ventral. La détérioration de la fonction ventriculaire droite dans ce contexte peut s’avérer critique ; l’échocardiographie permet la recherche d’une éventuelle aggravation d’une dysfonction ventriculaire droite et, dans de rares cas, la présence d’un thrombus dans l’artère pulmonaire (11). Modalités thérapeutiques de la MTEV au cours de la COVID-19 La sélection d’un traitement lors de l’anticoagulation curative nécessite la prise en compte de comorbidités telles que l’insuffisance rénale ou hépatique, la thrombocytopénie et la fonction d’absorption digestive ; le traitement peut changer au cours de l’hospitalisation jusqu’au moment de la sortie de l’hôpital. Chez de nombreux patients atteints de MTEV, l’anticoagulation parentérale (par exemple, l’héparine non fractionnée [HNF]) est préférable car elle peut être temporairement suspendue et n’a pas d’interaction médicamenteuse connue avec les traitements à l’essai pour la COVID-19. Cependant, les préoccupations concernant l’HNF comprennent le temps nécessaire pour obtenir un TCA à l’objectif thérapeutique et l’exposition accrue au SARS-CoV-2 des soignants pour les prises de sang fréquentes. Les héparines de bas poids moléculaire (HBPM) peuvent être préférées chez les patients pour qui une suspension du traitement pour une procédure invasive est peu probable. Les avantages des anticoagulants oraux directs (AOD) comprennent l’absence de surveillance biologique, la facilité des prises et la gestion des patients ambulatoires. Le risque potentiel (en particulier dans un contexte de défaillance d’organe) peut inclure la détérioration clinique et le manque de disponibilité dans certains centres d’un antidote efficace. Pour les patients sortants, les AOD et les HBPM doivent être privilégiés pour éviter les contacts avec le personnel soignant pour les contrôles d’INR qui sont obligatoires avec les AVK. Quid d’une anticoagulation efficace empirique sans diagnostic de MTEV ? Compte tenu des troubles de l’hémostase évoqués ci-dessus et des observations relatives à des maladies virales antérieures (12), certains cliniciens utilisent l’anticoagulation parentérale thérapeutique à dose intermédiaire ou à dose complète (plutôt que prophylactique) pour les patients atteints de COVID-19 (13), en émettant l’hypothèse qu’elle pourrait conférer un bénéfice pour prévenir les thromboses microvasculaires. Cependant, les données existantes sont très limitées, basées sur une analyse de sous-groupe (n = 99) d’une seule étude rétrospective avec un contrôle limité des facteurs de confusion potentiels, suggérant qu’un score de Sepsis Induced Coagulopathy (SIC) de l’ISTH (incluant la numération plaquettaire, le score de SOFA de défaillance d’organe et le TP-INR) ≥ 4 et des D-dimères > 6N, seraient statistiquement associés à une réduction de la mortalité à 28 jours, chez des patients COVID pris en charge en réanimation, traités par 7 jours ou plus d’HPBM (14). Une autre étude chinoise rétrospective sur 81 patients avec une COVID grave hospitalisés en réanimation, suggère que des D-dimères > 1 500 ng/ml ont une sensibilité de 85,0 % et une spécificité de 88,5 % pour la détection des événements TEV (15). Ces 2 études suggèrent qu’une anticoagulation efficace serait bénéfique dans un sous-groupe de patients à haut risque (selon le score de SIC et le taux de D-dimères). La dose optimale chez les patients atteints de COVID-19 grave reste inconnue et justifie des études prospectives. La majorité des experts recommande jusqu’à présent l’anticoagulation prophylactique, bien qu’une minorité considère que la dose intermédiaire ou la dose thérapeutique sont raisonnables. Les équipes spécialisées dans la prise en charge des embolies pulmonaires permettent d’offrir des soins multidisciplinaires aux patients à risque intermédiaire et élevé de MTEV (16,17-19). Pendant la pandémie COVID-19, ces centres experts doivent passer de l’évaluation clinique des patients hospitalisés à des consultations par téléphone ou par télémédecine. Une EP récurrente malgré une anticoagulation optimale, ou une MTEV cliniquement significative dans le cadre de contre-indications absolues à l’anticoagulation seraient parmi les rares scénarios dans lesquels la mise en place d’un filtre cave pourrait être envisagée (20). Même après la mise en place du filtre cave, l’anticoagulation doit être reprise dès que possible, ce qui est souvent fait en augmentant progressivement les doses et en surveillant étroitement la survenue de saignement. Pour les stratégies de reperfusion en cas d’EP aiguë, il convient de suivre les recommandations des sociétés savantes préexistantes. Les patients à risque intermédiaire hémodynamiquement stables (EP à risque intermédiaire-faible, ou EP à risque intermédiaire-élevé selon la classification ESC) (16,21-23) doivent être pris en charge dans un premier temps par une anticoagulation efficace et une surveillance étroite. En cas de détérioration ultérieure, il faut envisager une fibrinolyse systémique de secours, avec comme alternative des thérapeutiques invasives par cathétérisme de l’artère pulmonaire. Pour les patients présentant une instabilité hémodynamique manifeste (EP à haut risque selon la classification ESC) (16,21-23), une fibrinolyse systémique est indiquée, les traitements par cathétérisme étant réservés aux scénarios dans lesquels la fibrinolyse systémique n’est pas réalisable. La mise en place d’une oxygénation par membrane extracorporelle (ECMO) au lit du malade est préférable dans les cas de positivité à la COVID-19 connue ou de suspicion d’infection, plutôt que des stratégies nécessitant l’utilisation d’un laboratoire de cathétérisme ou d’un bloc opératoire (24). La grande majorité des patients atteints de TVP aiguë symptomatique doivent être traités par anticoagulation efficace, avec un traitement à domicile si possible. Les quelques patients qui peuvent nécessiter des techniques endovasculaires aiguës (fibrinolyse locale ou embolectomie) sont ceux qui présentent une phlébite ou des symptômes véritablement réfractaires (25). Stratification du risque de MTEV chez les patients COVID-19 Pendant l’hospitalisation pour une pathologie aiguë, y compris pour une pneumonie, les patients présentent un risque accru de MTEV (16,26) et l’anticoagulation prophylactique permet de réduire ce risque (27-31). Plusieurs outils de stratification du risque sont disponibles pour l’évaluation du risque de MTEV dans ce contexte (par exemple, les modèles Caprini, IMPROVE et Padua) (32-37). Une étude récente chinoise, utilisant le modèle de Padoue, a rapporté que 40 % des patients
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