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Expérience de la crise COVID dans un hôpital privé : témoignage d’un pneumologue libéral
Étienne PIGNÉ, Pneumologue libéral ; Hôpital privé de Parly II, Le Chesnay

J’ai 50 ans et suis pneumologue dans une clinique privée depuis 2004. Auparavant, j’ai suivi un cursus assez classique avec internat puis clinicat dans de grands hôpitaux de l’Assistance Publique (en réanimation et en pneumologie). J’ai noué, pendant cette période, des liens professionnels (et surtout amicaux) avec de nombreux pneumologues et réanimateurs qui, comme vous le verrez, me furent très utiles pendant cette crise.
Mon travail à la clinique consiste à voir des patients en consultation et éventuellement de les prendre en charge en hospitalisation lorsque leur état le nécessite. Je travaille avec de nombreux praticiens, avec cependant une spécificité cardiovasculaire de la clinique qui explique qu’elle soit dotée de plusieurs services de soins continus dont une réanimation et une postréanimation (classiquement dévolue à des patients moins graves mais avec la possibilité de soumettre les patients qui le nécessitent à une ventilation mécanique). De nombreux chirurgiens sont également présents, aussi bien orthopédistes que viscéraux, plasticiens, ophtalmologistes, ORL, etc. À la différence de l’hôpital, chaque praticien travaille pour son propre compte avec des échanges le plus souvent cordiaux en cas d’avis et/ou de prises en charge spécifiques. L’avènement de la COVID-19, initialement en Asie, a bien sûr retenu toute mon attention, d’autant que ce virus a un très fort tropisme respiratoire. Son arrivée sur le territoire français a généré de mon côté (et de très nombreux confrères partagent cette opinion) une aventure humaine absolument inédite. La montée en puissance de l’épidémie en Région parisienne a entraîné de la part de nos autorités de tutelle une demande expresse de transformer radicalement le fonctionnement de la clinique ainsi que toutes celles que je connais (en tout cas toutes celles dotées d’une réanimation). Elle devait s’organiser afin de recevoir cette fameuse « vague » de patients infectés. Il fut donc demandé aux chirurgiens d’arrêter totalement de travailler à ce qu’ils savent faire habituellement, afin que leur patients n’occupent pas un lit pouvant être pris par un patient COVID. Comprenez par là non pas une réquisition mais bien un arrêt de leur métier et donc de leur revenu. En effet, un médecin libéral ne reçoit de rémunération que lorsqu’il travaille. Il n’en est pas de même pour le médecin hospitalier qui est rémunéré sous forme de salariat. Une tolérance fut initialement accordée à la prise en charge des grandes urgences cardiovasculaires mais rapidement l’afflux de patients infectés nous obligea à prendre en charge ces patients COVID de façon quasi exclusive. Lorsque les établissements hospitaliers (en pratique le service public) furent débordés par cet afflux de patients à prendre en charge et à hospitaliser, notre structure fut sollicitée. La réanimation, « vidée » pour l’occasion de ses habituels patients cardiovasculaires postopératoires, se retrouva remplie en quelques jours de patients COVID. Ils souffraient tous de détresses respiratoires extrêmement sévères nécessitant une ventilation mécanique avec des spécificités très particulières. Les réanimateurs de la clinique sont quasiment tous des cardiologues ou des anesthésistes plus habitués à prendre en charge leurs patients avant et après une intervention chirurgicale ou pour des problèmes cardiologiques graves. Tout cela pour dire que ces patients très particuliers ont été pris en charge rapidement et avec une remarquable rigueur par des médecins moins aguerris à ce type de No 2 337 JUIN 2020 réanimation que des réanimateurs notamment hospitaliers dont c’est le cœur de métier. En quelques jours et après de très nombreux contacts pris auprès d’autres confrères et d’innombrables lectures d’articles (souvent publiés le jour même...), nous avons pris en charge très efficacement ces patients avec des résultats en termes de survie et de durée d’hospitalisation qui n’ont rien à envier à ceux des grands services de réanimation parisiens. Rapidement la réanimation fut pleine et il fallut alors « armer » la post-réanimation en mode COVID et ses 7 lits furent remplis très rapidement. Cela se passa tellement vite qu’il fut même question un temps de transformer notre salle de réveil en réanimation COVID. Cela se serait fait, j’en suis certain, avec autant d’enthousiasme, si le nombre de malades n’avait pas fini par baisser plusieurs semaines après le début de l’épidémie. Cette période de forte affluence correspondait au transfert de nombreux patients des réanimations de Paris et d’Ile-de-France débordées vers les zones de province, moins touchées. Il faut imaginer cette prise en charge en réanimation autrement que par les images entraperçues au Journal de 20 heures… Les médecins sont habillés en « cosmonaute » toute la journée avec heureusement du matériel qui n’a jamais fait défaut grâce à la vigilance constante de la direction. Les journées sont harrassantes, passées à prendre en charge ces patients très sévères, souvent jeunes, nécessitant une ventilation très particulière. Le tout avec ce fameux masque FFP2 en permanence sur le visage et sous lequel il est si difficile de respirer (quelle ironie !…) L’état de ces patients justifie souvent de réaliser une ventilation sur le ventre afin d’améliorer leur oxygénation et souvent également de les soumettre à une épuration extra-rénale (dialyse). Je n’étais pas en réanimation à cette période mais je travaillais avec les réanimateurs, « main dans la main » (au figuré bien sûr…). Je les sollicitais très souvent pour leur confier certains de mes patients en salle dont l’état se dégradait. Par ailleurs, ayant fait beaucoup de réanimation dans ma vie, et ayant gardé de nombreux contacts amicaux dans ce milieu, j’eus souvent à cœur de solliciter mon « réseau », afin d’obtenir un partage d’expérience. Effectivement, il fut fréquement décidé d’adopter des prises en charge fondées sur une expérience « vieille » de quelques jours ou sur des publications très récentes. Mon admiration va vers ces médecins réanimateurs de ma clinique, ayant enchaîné les gardes, s’exposant au virus sans crainte (en apparence en tout cas), avec ce que cela peut avoir de stressant. Ils étaient en effectif souvent réduit, du fait parfois de défections de collègues tombés malades. Leur détermination fut inébranlable. La prise en charge de leurs patients (qui furent souvent aussi les miens) n’a pas à pâlir d’une quelconque comparaison avec celle des services de réanimation médicale, plus aguerrie à ce type de prise en charge. Le 21 mars, la majorité des services de la clinique ayant été vidés et l’hopital public étant débordé par le nombre considérable de malades affluant aux urgences, les autorités de tutelle décidèrent de nous confier des patients infectés par le COVID en salle également (non réanimatoire, au moins à leur entrée…) Je fus alors en charge avec mon associé d’une unité de 46 lits de médecine qui fut remplie en 72 heures ! Nous avons pris en charge en réanimation et en salle 146 patients infectés par ce virus pendant cette période. Les patients arrivaient en très grand nombre de quasiment tous les hôpitaux parisiens et de toute la grande couronne. Ils étaient atteints de façon variable, de tous les âges (entre 20 et 90 ans) mais nécessitaient quasiment tous une surveillance très minutieuse ainsi qu’un apport en oxygène. Leur hospitalisation était rendue necessaire par leur état respiratoire bien sûr, mais également par l’existence chez eux de facteurs de risque d’acquisition de COVID sur un mode sévère : surpoids, antécédents cardiovasculaires, diabète, hypertension, pathologie respiratoire induite par le tabagisme ou l’asthme... et âge avancé. Mes fonctions furent très diversifiées, avec bien sûr la prescription de leur traitement habituel ainsi que des antibiotiques et des anticoagulants, afin d’éviter tout risque d’embolie pulmonaire, complication très fréquente, rapidement identifiée dans la littérature scientifique. Il fallait également que je surveille très attentivement leur taux d’oxygène, car ces patients ont la caractéristique de présenter des carences en oxygène très fréquentes, souvent profondes et étonnamment bien tolérées. Habituellement la carence en oxygène chez un patient indemne de toute pathologie respiratoire génère une oppression thoracique, une accélération de la fréquence respiratoire, tout cela étant très mal toléré par le patient, qui devient très vite anxieux, de façon tout à fait légitime. Il n’en est pas de même chez ces patients qui tolèrent habituellement très bien de grandes carences en oxygène, rendant leur surveillance d’autant plus délicate. En effet, les infirmières et moi ne pouvions nous fonder sur le ressenti du patient mais sur notre expérience : la fréquence respiratoire et surtout la saturation, information obtenue par un appareil appelé oxymètre, placé au niveau du doigt et nous donnant en temps réel une information prédominante dans le choix de la stratégie à adopter. En effet, en cas d’atération des échanges gazeux, souvent rapide, il m’incombait alors de solliciter les réanimateurs pour qu’ils prennent en charge le patient pour défaillance respiratoire. Ce type de décision est souvent difficile à prendre car assez subjective, même en dehors du COVID et nécessite beaucoup d’expérience. En revanche, dans ce contexte précis, l’extrême tolérance à l’hypoxémie (diminution anormale de la quantité d’oxygène contenue dans le sang) de ces patients rajoute une difficulté supplémentaire à leur évaluation et engendre un stress bien réel. Nous avons l’habitude de tenter de réaliser ce que l’on appelle de la ventilation non invasive pour les patients en détresse respiratoire. Il s’agit d’une technique faisant intervenir un masque et une machine avec turbine soulageant le travail respiratoire de ces patients fatigués et qui a surtout pour but d’éviter d’avoir à les intuber (et donc d’éviter un coma artificiel avec tout ce que cela a d’agressif et de traumatisant pour les patients et leur entourage). Il nous avait été initialement vivement déconseillé, au début de l’épidémie, d’utiliser cette technique du fait d’un risque d’aérosolisation (mise en suspension) du virus dans la chambre du malade. Par la suite, reproduisant l’expérience d’autres confrères, nous réalisâmes que cette technique, appliquée avec des précautions particulières, était non seulement non délétère mais surtout très efficace
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