Aller au contenu principal
TwitterFacebookLinkedinPartager

HISTOIRE

Publié le  Lecture 18 mins

La prophylaxie postale des épidémies - Elle a commencé par la purification des objets de correspondance

Guy DUTAU, Allergologue, pneumologue, pédiatre, Toulouse

Au XVIIIe siècle, Angelo Frari(a) considérait que la désinfection des lettres avait commencé au moins un siècle plus tôt. Dans la Gazzetta Privilegiata di Venezia (GPV), il relate une épidémie de peste qui frappa le Portugal à la fin du XIVe siècle. Le roi du Portugal, Edouardo Ier (1391-1438), se retira alors avec sa famille dans le monastère de Tomar(b,c), mais il contracta la peste et sa contamination fut attribuée au contact avec une lettre infectée qui lui avait été remise(d) (figure 1). Comme la majorité des médecins de l’époque, Frari considérait que les lettres pouvaient contenir les « germes de la contagion(e) » et, par conséquent, qu’elles devaient être désinfectées. Cette opinion était partagée par la plupart des auteurs jusqu’à la découverte des bactéries et des virus responsables des maladies épidémiques, ainsi que de leurs modes de transmission. En France, les plus anciennes lettres purifiées que nous connais- sons datent du 20 mai 1607 (Alep-Marseille), d’octobre 1630 (Le Caire-Marseille) et du 14 août 1677 (Saïda-Marseille) (figure 2). Nous connaissons des lettres purifiées de la fin du XVIe siècle, mais il en existe de plus anciennes(f) (figure 3).

Figure 1. Messager à cheval distribuant une lettre à l’aide d’une pince pour éviter le contact avec le destinataire (bloc Europa, 1979) (collection G.Dutau ©). Figure 2. Lettre désinfectée au vinaigre d’Alep (20 mai 1607) pour Marseille avec mention d’acheminement « Par La Nonciade que Dieu Conduise ». Ces mentions dites « talisman » étaient souvent en abrégé comme « QDC » (Que Dieu Conduise) ou « WGP » (With God Protect) (collection G. Dutau ©). Figure 3. Lettre de la Grande Peste de Gênes : lettre du Commissaire des Guerres de la République de Gênes, purifiée par exposition au parfum et à la flamme dont on voit les traces. La lettre est destinée à Nicolò Guano Capne à Pieve (Pieve di Teco, province d’Imperia, Ligurie) (collection G. Dutau ©). JUSTIFICATIONS DE LA PURIFICATION DU COURRIER Jusqu’à 1830-1840, les lettres furent désinfectées (g), car on craignait qu’elles ne transmettent la peste (h), désignée à cette époque par le terme de «contagion», cause de fréquentes épidémies jusqu’à la grande peste de Marseille et de Provence (1720-1722). Mais, au début du XIX e siècle, avec l’apparition en Europe de la fièvre jaune et du choléra, la peste cessa d’être la seule maladie qui justifiait la désinfection du courrier. En effet, entre 1800 et 1821, plusieurs épidémies de fièvre jaune survinrent en Espagne, touchant Cadix à de nombreuses reprises (1800-1801 et 1803-1805), ainsi que plusieurs villes d’Andalousie, puis Barcelone (1821). Ces épidémies étaient dues à l’importation de la fièvre jaune (vomito negro) par les moustiques infectés (i) situés dans la cale de navires venant d’Amérique centrale, en particulier de La Havane et des Caraïbes où la fièvre jaune était endémique (j). À l’époque, ce mécanisme était inconnu et la théorie officielle était celle des miasmes (k), les principaux germes responsables des maladies infectieuses n’étant découverts qu’à la fin du XX e siècle, ou même plus tard. Ainsi, avec la fièvre jaune, le choléra morbus motiva la désinfection des lettres au cours des sept pandémies cholériques qui se succédèrent entre 1817 et 1961 (l). Ailleurs qu’en France, le courrier des tuberculeux fut désinfecté avec de la formaline, en particulier au début du XX e siècle dans les sanatoriums de Pennsylvanie, en particulier à Mont Alto. Il en fut de même pour la correspondance des soldats atteints de la grippe dite espagnole en 1918-1919 (États-Unis), ainsi que pour l’ensemble du courrier au cours d’épidémies de fièvre aphteuse en Suisse (1919) par crainte d’une propagation humaine de cette affection du bétail (m). Une semaine après l’attentat contre les tours jumelles du World Trade Center (11 septembre 2001) est apparu un grave bioterrorisme par inclusion de spores de Bacillus anthracis dans des enveloppes, responsable d’infections très graves et même mortelles (figure 4). Toutes les lettres suspectes, principalement adressées aux organismes officiels, furent stérilisées par irradiation à Bridgeport, New Jersey, et distribuées au bout de plusieurs mois. Figure 4. Lettre du ministère américain de l’Énergie (24janvier 2002), désinfectée par irradiation à Bridgeport. Griffe au tampon « MAIL/ SANITIZED » (collection G. Dutau ©). Plus récemment, au cours des vols d’Apollo11 (11 août 1969) et d’Apollo14(31janvier-9 février 1971), des cosmogrammes lunaires – Moon Mail – qui avaient voyagé en orbite autour de la Lune furent désinfectés par crainte que des microorganismes aient été présents sur le sol de la Lune où Buzz Aldrin (1930) et Neil Armstrong (1930-2012) ont été les premiers hommes à marcher, Michael Collins (1930-2021) pilotant le module lunaire (figure 5). Lors des anciennes épidémies, il n’est pas impossible que des lettres purifiées aient été détruites par leurs destinataires qui craignaient d’être contaminés... Plus tard, pareillement, les lettres suspectes de bioterrorisme à l’anthrax furent souvent jetées ou détruites par leurs destinataires. Si l’application de ce « principe de précaution » avait été systématique, il nous aurait privés de ces documents historiques ! Figure 5. Cosmogramme lunaire dit « Moon Mail » no 1/55 « CARRIED TO THE MOON ABOARD APOLLO 14 (26 feb. 1971) ». Alan B. Shepard (commandant), Stuart A. Roosa (module de commande, reste en orbite), Edgar D. Mitchell (pilote du module lunaire) (Courtesy Bolaffi Historical Archive of Philography and Communication ©). La colère fut aussi une réaction fréquente des destinataires de lettres largement désinfectées au vinaigre, comme cela était la doctrine au lazaret de Marseille. La plupart étaient des négociants de la ville, pour lesquels le contenu épistolaire était important. Même s’il était recommandé d’utiliser le vinaigre blanc (n), une immersion prolongée dans ce liquide désinfectant (o) altérait fortement la suscription des lettres et leur texte intérieur devenait peu lisible, ou même illisible (figure 6). Figure 6. Ce pli, écrit de la « chaîne du port » de Marseille (20 septembre 1824) par un patron italien annonce son arrivée. La lettre a été longtemps immergée dans le vinaigre, sans entailles, au point que son texte extérieur est presque illisible. Colère assurée du destinataire. La suscription était aussi très peu lisible ! (collection G. Dutau ©). Vers 1820-1825, l’adoption du chlore ou parfum Guytonien, du nom de son promoteur Louis-Bernard Guyton de Morveau (1737-1816), devait pallier cet inconvénient épistolaire : cette désinfection chimique utilisant l’acide muriatique (acide chlorhydrique) ne laissant pas de traces ou peu, sans altérer l’écriture. LE SYSTÈME QUARANTENAIRE La désinfection du courrier s’intègre dans le cadre des mesures qui définissent le « système quarantenaire », imaginé dès la fin du XIV e par Bernabo Visconti à Reggio-Emilia, puis dans d’autres villes comme Raguse (l’actuelle Dubrovnik), Venise, Gênes, Marseille, Malte, Trieste, Ancone, Naples, Livourne, Toulon, puis, plus tard, dans les ports de l’Atlantique, Bordeaux et l’estuaire de la Gironde en particulier, ainsi que dans ceux de la mer du Nord. Ce système persista en France jusqu’à la fin du XIXe siècle, puis il fut remplacé par le Règlement sanitaire international, élaboré à partir de 1845 à l’instigation d’Adrien Achille Proust (1834-1903), professeur d’hygiène à Paris, défenseur du droit sanitaire international (p). Plus tôt, en Angleterre, les lazarets et les quarantaines avaient été supprimés, jugés comme obsolètes, car entravant le commerce. Les voyageurs devaient se déplacer avec des attestations, terrestres (billets de santé) ou maritimes (patentes de santé) (q) qui sont les ancêtres des « attestations » que nous eûmes à remplir au cours des confinements associés à la Covid-19 ! Il est curieux de voir que, à cette occasion, un grand nombre de personnes ont découvert ces « vieux papiers » (figure 7). On ne dira jamais assez que l’histoire se répète souvent... Mais à l’époque les contrevenants étaient passibles de lourdes peines, telles que de fortes amendes, des châtiments corporels comme l’estrapade (r), voire la mort ! Figure 7. Billet de santé délivré par les Capitouls de Toulouse pour un voyageur habitant Albi, allant de Toulouse (21 mars 1722) pour se rendre à Montauban (23 mars) et en Auvergne. Au verso sont inscrits ses visas de passage à Puylaroque (23 mars), Limonhe (Limogne, 24 mars), Figeac (24 mars) et Rieupeyroux (29 mars). Ce billet, délivré pendant la Grande Peste de Marseille et de Provence (1720-1722) témoigne des précautions sanitaires prises à l’époque, très loin du foyer initial. Toulouse et sa région ne furent pas touchés, ni la Catalogne, au contraire du Gévaudan (collection G.Dutau ©). MOYENS DE DÉSINFECTION Les signes de désinfection des lettres varient selon les règles sanitaires des ports ou des pays, et aussi avec les agents sanitaires qui les ont effectuées(s). En France, à l’exemple du bureau de Santé de Marseille, les lettres furent d’abord immergées dans le vinaigre sans entailler les plis. Mais la survenue d’une grave épidémie de peste en Afrique du Nord (1784-1787) modifia cette pratique et, à partir de 1784, des entailles – en général deux, parfois plus, en particulier en cas de lettres épaisses susceptibles de contenir des échantillons d’étoffes – furent pratiquées systématiquement au lazaret de Marseille pour mieux faire pénétrer le vinaigre à l’intérieur des lettres (figure 8). Figure 8. Aspect typique d’une lettre désinfectée au vinaigre blanc avec deux entailles caractéristiques aux extrémités bifides. Cette lettre est datée de Tunis, 1 er novembre 1785, où la peste sévit, puis s’étendra au reste du pays et à l’Algérie (collection G. Dutau ©). Avec le chlore gazeux ( circa 1820), d’autres moyens de désinfection ont été utilisés comme le formol (formaline ou formaldéhyde ou méthanal : CH 2O), l’exposition à la flamme, l’exposition combinée à la chaleur et à diverses plantes aromatiques (laurier, genévrier, romarin, thym) dans des dispositifs particuliers, appelés « chambres du parfum » (t). Dans certains lazarets d’anciens États italiens (Naples, Livourne, Gênes, Cagliari) ou ailleurs (Trieste, Tunisie), les lettres furent exposées directement à la flamme, tenues par des pinces (angl. : tongs) qui laissaient souvent leur empreinte en négatif sur les lettres ainsi exposées (figures 9 et 10). Les lettres désinfectées à la flamme sont exceptionnelles en France, où les modèles techniques étaient ceux de l’Intendance sanitaire de Marseille, dominés jusqu’à 1784 par l’utilisation du vinaigre. Figure 9. Lettre commerciale de Livourne (2 juin 1837) pour Tunis désinfectée à l’arrivée à la flamme selon les techniques en vigueur en Italie, ici par l’office sanitaire sarde de Tunis. Plusieurs lettres ont été exposées à la fois. Il en

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :