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La FeNO dans l’asthme : des bases biochimiques à l’utilisation en clinique
Bruno DEGANO(1)*, Thibaud SOUMAGNE(2)*, Paris et Grenoble

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LE NO, UNE MOLÉCULE NOBÉLISÉE Les oxydes d’azote (NOx), qui regroupent essentiellement deux molécules que sont le monoxyde d’azote (NO) et le dioxyde d’azote (NO 2), sont considérés depuis plusieurs décennies comme des polluants atmosphériques provenant essentiellement de procédés fonctionnant à haute température (transport routier, installations de combustion industrielle ou de chauffage…). Avant même que son rôle physiologique chez les mammifères ne soit découvert à la fin des années 1980, le NO a par conséquent été mesuré en tant que polluant, ce qui a permis le développement de méthodes de mesure (chimioluminescence) qui ont par la suite facilité son étude en physiologie et en médecine. En 1987, Hervé Guénard a le premier utilisé le NO comme gaz traceur pour estimer le volume sanguin capillaire pulmonaire (1). La même année, quelques-uns des futurs récipiendaires du prix Nobel de médecine et de physiologie ont montré que du NO pouvait être produit de façon enzymatique par des cellules endothéliales à partir d’un substrat, la L-arginine (2). La revue Science a décerné au NO le titre de « Molécule de l’année » en 1992, mais ce n’est qu’en 1998 que trois scientifiques travaillant sur le NO (Robert Furchgott, Louis Ignarro et Ferid Murad) ont reçu le prix Nobel – ce qui donne l’occasion de rappeler que la famille Nobel doit sa fortune à l’invention de la dynamite ou « nitroglycérine » dont la fabrication fait intervenir de l’acide nitrique. C’est en 1991 que la présence de NO dans les voies respiratoires sous-glottiques a été rapportée pour la première fois (3). En 1995, des auteurs ont montré que la concentration de NO dans les sinus paranasaux était de l’ordre de 10 parties pour million (ppm), c’est-à-dire très supérieure aux concentrations considérées comme toxiques dans l’air ambiant (figure 1) (4). Au fil des ans, des techniques électrochimiques (5), beaucoup moins onéreuses et beaucoup plus simples à mettre en œuvre que la chimioluminescence, ont permis d’envisager la mesure du NO dans les voies aériennes en routine médicale, ouvrant le champ à tout un pan de recherche. Depuis le début des années 2000, entre 6 000 et 8 000 publications consacrées au NO sont référencées chaque année dans PubMed, parmi lesquelles entre 300 et 400 portent sur « NO et asthme ». Figure 1. Concentration de NO aux différents étages des voies respiratoires. Du NO est mesuré dans les voies aériennes sous-glottiques à une concentration de l’ordre de la dizaine de parties pour milliards (ppb). Dans les sinus paranasaux, la concentration de NO est de l’ordre de 10 parties pour million (ppm), c’est-à-dire très supérieure aux concentrations considérées comme toxiques dans l’air ambiant. MÉTABOLISME DU NO DANS LES VOIES RESPIRATOIRES Le monoxyde d’azote (NO) est un gaz radicalaire (il possède un électron non apparié). On estime que sa demi-vie in vivo est de quelques secondes seulement. En solution aqueuse, en présence d’oxygène moléculaire, le radical NO est essentiellement dégradé en nitrites (NO 2) et nitrates (NO 3). Cependant, il existe des formes de « stockage », sous forme de nitrosothiols en particulier, qui permettent d’augmenter la durée de son action. Dans l’organisme, le NO est synthétisé par la voie enzymatique des NO-synthases (NOS) (6). Les NOS sont classées en deux catégories, les constitutives (NOS-1 et NOS-3, enzymes qui existent dans certaines cellules, mais doivent être activées pour produire du NO) et l’inductible (NOS-2, dont l’expression est « induite » par certains stimuli et qui, une fois exprimée, est immédiatement active). Même si les trois isoformes de NOS sont présentes dans les poumons, on considère que la majorité du NO produit par le compartiment bronchique et mesuré dans l’air expiré est dérivée de la NOS-2 présente dans l’épithélium cilié, les macrophages et les éosinophiles (7). Les facteurs pouvant potentiellement influencer la biodisponibilité du NO (et donc sa concentration dans le gaz pulmonaire) sont extrêmement nombreux et complexes, et comprennent (i) l’expression, la localisation subcellulaire et l’activation des NOS ; (ii) la biodisponibilité du substrat (la L-arginine), qui dépend de la présence d’arginases, d’inhibiteurs compétitifs endogènes et de transporteurs transmembranaires du substrat ; (iii) de la présence de cofacteurs enzymatiques, nécessaires à l’activité des NOS ; (iv) de la dégradation du NO ou au contraire de sa production non enzymatique (figure 2). Figure 2. Biodisponibilité du NO. Les facteurs pouvant influencer la biodisponibilité du NO comprennent (i) l’expression, la localisation subcellulaire et l’activation des NO-synthases (NOS) ; (ii) la biodisponibilité du substrat (la L-arginine), qui dépend de la présence d’arginases, d’inhibiteurscompétitifs endogènes et de transporteurs transmembranaires du substrat ; (iii) de la présence decofacteurs enzymatiques, nécessaires à l’activité des NOS ; (iv) de la dégradation du NO ou aucontraire de sa production non enzymatique. Dans l’épithélium des voies aériennes de sujets asthmatiques, l’expression de la NOS-2 passe par une voie STAT-6 médiée par l’IL-4 et l’IL-13 (8). Ceci explique sans doute que les corticoïdes, qui diminuent la production d’IL-4 et d’IL-13, entraînent une baisse de la concentration de NO dans les voies respiratoires de patients asthmatiques. De même, cela explique pour partie le fait que des biothérapies ciblant l’IL-13 (dont l’efficacité n’a pourtant pas été démontrée dans l’asthme) permettent de diminuer le NO dans les voies respiratoires chez ces patients (9). Sur la foi de quelques publications, on a longtemps considéré à tort que chez les patients asthmatiques, la concentration de NO mesurée dans l’air expiré témoignait assez fidèlement du nombre d’éosinophiles présent dans les poumons (figure 3). Figure 3. Relation entre la FeNO et le pourcentage d’éosinophiles dans l’expectoration induite de patients asthmatiques. Cependant, la corrélation en tre NO expiré et éosinophiles (mesurés dans l’expectoration induite, les biopsies bronchiques et/ou le liquide de lavage broncho-alvéolaire) n’est pas très forte (10). De plus, l’administration d’anticorps anti-IL-5 à des patients asthmatiques, qui permet de réduire l’inflammation en lien avec les éosinophiles des voies respiratoires, n’affecte pas significativement la concentration de NO dans l’air expiré (11). Pour toutes ces raisons, le lien entre éosinophilie pulmonaire et concentration de NO dans l’air expiré dans l’asthme est désormais considéré comme très peu pertinent. MESURE DE LA FRACTION DE NO DANS L’AIR EXPIRÉ (FENO) Dans le contexte de l’asthme, on s’intéresse à la concentration (ou « fraction ») de NO mesurée dans du gaz provenant des voies aériennes sous-glottiques et expiré par la bouche. Cette fraction expirée de NO (FeNO) est exprimée en partie pour milliard ou « ppb » (nombre de molécules de NO par milliard de molécules de gaz). Dans le gaz expiré, on considère qu’une partie du NO provient du compartiment alvéolaire et une autre du compartiment bronchique (figure 4) : on identifie une « concentration de NO » dans le compartiment alvéolaire (concentration qui est constante pendant la durée de recueil du gaz expiré) et un « débit de production de NO » par le compartiment bronchique (figure 4A). Un tel modèle permet de comprendre que plus le débit expiratoire est élevé, moins le gaz alvéolaire se charge de NO bronchique pendant l’expiration. De ce fait, plus le débit expiratoire est élevé, plus la FeNO est proche de la concentration alvéolaire de NO. Inversement, plus le débit expiratoire est bas, plus le gaz alvéolaire a le temps de se charger en NO bronchique : ainsi, plus le débit expiratoire est bas, plus la FeNO est élevée (figure 4B). Figure 4. Modèle permettant d’estimer la concentration alvéolaire de NO et le débit de production de NO par le compartiment bronchique. Dans le gaz expiré, on considère qu’une partie du NO provient du compartiment alvéolaire et une autre du compartiment bronchique. On considère que la concentration de NO dans le compartiment alvéolaire est constante pendant la durée de recueil du gaz expiré et qu’il existe un débit de production de NO par le compartiment bronchique (figure 4A). Plus le débit expiratoire est élevé, moins le gaz alvéolaire se charge de NO bronchique pendant l’expiration. De ce fait, plus le débit expiratoire est élevé, plus la FeNO est proche de la concentration alvéolaire de NO. Inversement, plus le débit expiratoire est bas, plus le gaz alvéolaire se charge en NO bronchique et plus la FeNO est élevée (figure 4B). Lors de l’expiration, comme la concentration de NO est environ 100, voire 1 000 fois plus élevée dans les sinus paranasaux que dans les voies aériennes sous-glottiques, mesurer la FeNO impose de ne pas « contaminer » le gaz expiré par du gaz provenant des fosses nasales. Pour ce faire, il importe de respecter un certain nombre de règles parmi lesquelles (i) ne pas mettre de pince-nez, (ii) réaliser une inspiration profonde, (iii) débuter l’expiration sans faire de pause télé-inspiratoire et (iv) pendant le recueil du gaz dans lequel la FeNO est mesurée, expirer contre une résistance buccale de l’ordre de 5 à 10 cmH 2O de façon à provoquer la fermeture du voile du palais, ce qui permet « d’isoler » les fosses nasales de la bouche. POURQUOI MESURER LA FENO À UN DÉBIT EXPIRATOIRE DE 50 ML/S DANS L’ASTHME ? Dès le milieu des années 1990, des publications ont rapporté le fait que la FeNO était plus élevée chez des patients asthmatiques que chez des sujets témoins, et surtout que l’administration de corticoïdes inhalés chez les patients asthmatiques permettait de restaurer une FeNO égale à celle des témoins (12). Néanmoins, ces premiers articles utilisaient une méthode non standardisée pour mesurer la FeNO (en l’occurrence, il s’agissait du « pic de NO expiré », et les valeurs mesurées étaient de l’ordre de plusieurs centaines de ppb). Par la suite, des approches statistiques ont montré que
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