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ORL

Publié le  Lecture 11 mins

Faire face au vieillissement de la voix : c’est possible !

Ralph HADDAD*, Estelle BOGDANSKI**, Antoine GIOVANNI*, *ORL, **Orthophoniste, service du Pr Michel, CHU Conception, Marseille

Le vieillissement de la population est un sujet d’actualité ; selon l’INSEE, la part des personnes de plus de 65 ans dans la population française est en grande progression : en 2018, elle représentait presque 20 % de la population avec une progression de 4 fois en vingt ans. Et la quasi-totalité de la hausse de la population prévue d’ici 2070 concernera ces personnes de plus de 65 ans(1). Cette population vieillissante devra bénéficier d’avancées médicales sur le plan de la prévention et de la prise en charge de différentes pathologies pour offrir un vieillissement « réussi ».

Dans un quart des cas, les sujets de plus de 65 ans rapportent une dysphonie (2). Les personnes âgées sont certes à risque de pathologies laryngées comme les immobilités ou les lésions cancéreuses, mais elles sont surtout exposées aux effets du vieillissement sur le larynx appelés « presbylarynx » qui sont responsables des modifications perceptibles de la voix : la « presbyphonie » (3). Cette presbyphonie peut entraîner des conséquences importantes pour le sujet de plus de 65 ans pouvant aller d’une simple gêne causée par la modification de la voix à un isolement social du fait d’une voix fatigable, rendant la communication difficile en société et responsable d’une détresse pour les patients(4). Il est donc important de ne pas méconnaître cette entité afin de pouvoir la diagnostiquer et la prendre en charge de façon adéquate. LE PRESBYLARYNX ET LA PRESBYPHONIE Le vieillissement laryngé se manifeste par une atrophie cordale aboutissant à un défaut d’accolement glottique en phonation responsable d’un aspect de glotte ovalaire avec défaut de vibration cordale, ainsi qu’une saillie excessive des apophyses vocales. Ceci peut s’accompagner d’un forçage sus-glottique compensateur avec hypertonie des bandes ventri culaires et d’un tremblement laryngé (5). Il est important de ne pas prendre ce forçage vocal pour une pathologie dysfonctionnelle isolée, mais bien l’identifier comme la conséquence du vieillissement laryngé et de l’inefficacité du plan glottique. La presbyphonie est donc bien une dysphonie organique. Figure 1 Figure 1. Aspect d’un presbylarynx en position d’inspiration (A) et de phonation (B). Santos et coll. (6) ont en 2022 défini 3 types de presbylarynx. Le type 0 correspond à un larynx sans modification endoscopique malgré un vieillissement histologique et neuromusculaire. C’est le type le plus fréquent, concernant surtout des « jeunes vieux », avec peu de plaintes vocales sauf dans certaines circonstances (conférenciers, chanteurs, etc.). Le diagnostic peut être difficile, mais un examen et un interrogatoire attentifs permettent de l’évoquer sur des signes discrets. Le type 1 comprend des signes endoscopiques (atrophie cordale, saillie des apophyses vocales, hyperactivité supraglottique, rigidité cordale et tremblement). Et enfin le type 2, le plus rare, correspond à un type 1 avec insuffisance glottique marquée en phonation (6), avec une voix altérée. Il se rencontre souvent tard dans le vieillissement. LES FACTEURS DU VIEILLISSEMENT Plusieurs facteurs jouent un rôle dans le vieillissement du larynx. Le larynx est un organe musculosquelettique, affecté lui aussi par la fonte musculaire à laquelle le corps fait face de façon continue. En effet, en comparant la masse musculaire chez des patients présentant un presbylarynx et ceux n’ayant pas de signes endoscopiques de vieillissement laryngé, on retrouve une différence significative entre les deux groupes : les patients ayant un presbylarynx présentant une masse musculaire significativement plus faible (7). Les études retrouvent non seulement une atrophie musculaire, mais aussi une modification de l’architecture cordale liée au vieillissement, avec un déséquilibre dans la régénération de la matrice extracellulaire, une augmentation du taux de collagène plus dense et irrégulier et une diminution de l’élastine et de l’acide hyaluronique, ce qui entraîne une rigidité cordale (8). Le vieillissement de la voix est aussi affecté par le vieillissement respiratoire : affaiblissement de la force diaphragmatique, augmentation du volume résiduel, baisse de la capacité vitale… Et cette altération de la fonction pulmonaire avec l’âge est connue pour exacerber les effets de l’atrophie vocale (9). Il dépend également des modifications hormonales liées à l’âge (10) : les cordes vocales ont des récepteurs hormonaux d’œstrogène, de progestérone et de testostérone. Avec l’âge, les hormones baissent, de façon progressive chez les hommes et de façon subite chez les femmes à la ménopause. Cette baisse hormonale est un facteur contributif à l’installation de la sarcopénie vue plus haut (10). Plusieurs études ont porté sur les effets de la ménopause sur la voix et ont retrouvé une baisse de la fréquence fondamentale (voix plus grave) et du quotient phonatoire (témoin de la fuite d’air en phonation au niveau des cordes vocales) après la ménopause (11), et il n’est pas rare que les femmes rapportent l’apparition des premiers signes de presbyphonie autour de la ménopause. Les hommes sont aussi affectés par les changements hormonaux. Il semblerait que l’atrophie musculaire soit relativement plus marquée chez eux, ce qui pourrait expliquer la disparition du dimorphisme sexuel de la voix avec l’âge (10) : au-delà d’un certain âge, la voix des hommes est de plus en plus difficile à distinguer de la voix des femmes. Le presbylarynx est bien sûr lié au degré d’entraînement vocal : un chanteur est souvent perçu plus jeune qu’un non-chanteur de même âge (12). Le travail vocal semblerait aussi permettre de conserver une voix vieillissante plus stable et de plus forte intensité (12). Enfin, le presbylarynx est le reflet de la qualité du vieillissement global du patient : un sujet âgé ayant de nombreuses comorbidités serait plus à risque d’avoir des signes de presbylarynx et donc une voix plus marquée par la presbyphonie, et cela par les effets collatéraux de ses comorbidités sur son larynx (par exemple l’aggravation de l’atrophie musculaire et la neuropathie chez les diabétiques) (3). Le presbylarynx se manifeste cliniquement par une voix éraillée et tremblotante, d’intensité réduite, avec augmentation de l’effort phonatoire et essoufflement marqué de la personne âgée, ce qui définit cliniquement la voix qualifiée de presbyphonique (13). Il faut bien comprendre que la presbyphonie n’est pas une dysphonie dite « dysfonctionnelle ». Le forçage vocal observé est une modalité de compensation de la rigidité cordale et de la fuite glottique liée à l’atrophie des cordes. L’existence d’une dysphonie chez une personne âgée doit toutefois être l’occasion d’un examen neurologique par le médecin, éventuellement par un spécialiste neurologue, s’il existe un doute avec certaines formes de début d’une maladie de Parkinson (attention à la raideur et aux tremblements par exemple) ou d’une autre maladie neurodégénérative (attention en particulier aux dysarthries associées souvent avec une fuite nasale par inefficacité du voile). PRISE EN CHARGE DE LA PRESBYPHONIE Comme toute dysphonie, la prise en charge de la presbyphonie débute par un bilan comprenant d’une part une naso-fibroscopie permettant de confirmer le diagnostic de presbylarynx et d’autre part un examen de la voix, au mieux réalisé dans le cadre d’un bilan orthophonique avec enregistrement de la voix et si possible analyses acoustiques et aéro-dynamiques. À ce bilan classique s’ajoute un bilan cognitif (le « MiniMental State Examination » - MMSE [15]) qui permettra d’aider dans le choix de la prise en charge selon les capacités cognitives du patient et un bilan auditif puisque la presbyacousie coexiste souvent et peut contribuer à l’aggravation des capacités de communication du sujet avec son entourage (16). La décision de prise en charge est alors, dans l’idéal, décidée en commun par le médecin ORL et l’orthophoniste. La prise est en charge est d’abord non spécifique comprenant d’abord l’instauration d’une activité physique régulière et quasi quotidienne, comprenant des activités d’endurance, de renforcement musculaire, d’équilibre et de souplesse, en intégrant ces activités à la vie quotidienne ou lors de séances dédiées, à hauteur de 30 minutes d’activité modérée par jour, au moins 5 jours par semaine. Cette activité permettra de maintenir, voire d’augmenter, la masse musculaire et donc de lutter contre la sarcopénie, tout en renforçant la santé osseuse et luttant contre le déclin cognitif et le risque de chute, ce qui contribue à offrir un vieillissement réussi (17). À cela s’ajoute la prise en charge diététique qui permet de rééquilibrer les apports nutritionnels et caloriques afin de lutter contre la dénutrition et la sarcopénie en maintenant le plaisir lié aux repas. Le programme national de nutrition recommande de maintenir au moins un apport protidique quotidien varié entre viande rouge, volaille, poisson et œufs, afin d’assurer un apport complet en acides aminés, tout en réduisant la prise de charcuterie. Ceci doit être associé à 2 à 3 produits laitiers et 5 fruits et légumes par jour, ainsi que des légumineuses deux fois par semaine et 1,5 litre de boissons par jour, en limitant la prise de boissons alcoolisées à 10 verres par semaine (18). Sur un plan plus spécifique, plusieurs outils sont possibles : rééducation orthophonique, médialisation et médecine régénérative. Le choix entre les différentes options est souvent basé sur le degré d’atrophie et de rigidité cordale, l’état global du patient, sa demande vocale et les répercussions de la presbyphonie sur sa vie (19), avec souvent une association possible entre les différentes options thérapeutiques. La rééducation orthophonique dispose de plusieurs outils comme le travail sur la posture, le travail respiratoire, la stimulation mécanique/électrique, le travail avec la paille, la rééducation par le chant… En tout cas, une approche intensive et régulière semble nécessaire pour améliorer l’efficacité des exercices réalisés (20). En nous inspirant des études publiées dans la littérature, nous avons mis en place dans notre service un protocole de rééducation dédié à la voix presbyphonique avec quatre niveaux d’intensité progressive, qui nécessitent une participation active du patient avec travail régulier à domicile avec des consultations intermédiaires avec l’orthophoniste pour contrôle et ajustement du travail du patient. Ce protocole de rééducation semble assez prometteur. Il associe : – un travail respiratoire sur le diaphragme (respiration ample avec rotation du thorax par exemple) et

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