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La sexualité du patient BPCO : comment l’aborder dans la vraie vie ?
R. ESCAMILLA*, E. ROUMIGUIER**, *Hôpital Larrey, Toulouse, **Sexothérapeute, Toulouse

La sexualité représente une part importante de la qualité de vie de chacun d’entre nous. En dehors de certaines situations particulières (opération sur la prostate par exemple), chez les patients, cet aspect de la vie est la plupart du temps négligé derrière l’écran des problèmes spécifiques organiques liés à la maladie. La BPCO illustre bien cette situation car la maladie affecte le souffle, handicap perçu comme un facteur limitant de « l’acte sexuel » ; de plus, l’existence fréquente de comorbidités, diabète ou affection cardiovasculaire, peut représenter une source supplémentaire de problèmes sexuels.
Aborder la sexualité d’un patient est souvent une étape difficile pour le patient comme pour le soignant. Elle nécessite une connaissance « minimale » des bases de la sexologie, de reconnaître les problèmes sexuels des patients BPCO et savoir comment les aborder en pratique. Les patients BPCO ont fréquemment une dysfonction sexuelle La dysfonction érectile est fréquente chez le patient BPCO et semble corrélée au degré de sévérité de la maladie. La limitation physique apparaît comme un des facteurs limitants d’une vie sexuelle normale et de l’acte sexuel. L’impotence fonctionnelle est plus marquée et plus « facilement » évaluable chez l’homme que chez la femme. Dès 1982, une étude américaine rapporte les résultats d’une mesure objective de l’érection, chez 20 patients BPCO d’âge moyen 45 ans (46 à 69 ans) sans cardiopathie ni diabète (1). Un tiers des patients n’avaient plus d’activité sexuelle ; pour les autres, la fréquence des rapports et le niveau de leur libido étaient diminués par rapport à « avant la BPCO ». Six sujets avaient une impotence érectile fonctionnelle mesurable par le monitoring de la tumescence pénienne nocturne. Il existait une relation significative entre la dysfonction sexuelle et le degré de l’atteinte respiratoire. Deux études par questionnaire ont été effectuées chez des patients BPCO de nationalité turque. La première chez 53 sujets (âge moyen : 63,4 ans) retrouvait 75,5 % de dysfonction érectile (DE) dont plus de 20 % étaient sévères ; la fonction orgasmique, la satisfaction lors de l’acte sexuel, la satisfaction générale et la fonction érectile diminuaient avec la sévérité de la BPCO ; cependant, le désir sexuel n’était pas affecté, indépendamment de l’âge du patient et de la sévérité de sa BPCO. Les résultats de cette étude doivent être pondérés par le fait que plus de la moitié des patients avaient une ou plusieurs comorbidités pouvant impacter leur sexualité (2). La deuxième étude chez 95 patients BPCO (âge moyen : 63,5 ans) et 30 témoins appariés (âge moyen : 61,1 ans) retrouvait une dyspnée d'effort (DE) chez 87 % des patients mais également chez 83 % des témoins ; cependant, les DE sévères étaient plus fréquentes (57 %) chez les BPCO sévères que chez les témoins (20 %) ; les scores de sévérité de la DE n’étaient pas corrélés ni avec l’âge des patients ni avec la sévérité de la BPCO (3). L’IRC n’est pas obligatoirement associée à un arrêt de l’activité sexuelle Ainsi , une enquête chez des patients suisses atteints d’insuffisance respiratoire chronique (IRC) sous ventilation non invasive (VNI) a montré que 34,1 % des patients restaient sexuellement actifs avec en moyenne plus de 5,4 rapports sexuels par mois ; 4 patients font même l’amour sous VNI. Sans surprise, les patients les plus actifs étaient ceux de la tranche d’âge 40-50 ans, et ceux avec une meilleure fonction respiratoire. La poursuite d’une activité sexuelle est observée essentiellement chez les patients mariés ou ayant une compagne. En revanche, l’initiation de la VNI a un impact négatif sur l’activité sexuelle des patients : elle la diminue dans 35,8 % des cas et l’améliore dans 12,6 % des cas (4). Récemment, une équipe a étudié directement par le monitorage des paramètres cardio-respiratoires, les conséquences d’un acte sexuel chez un patient BPCO insuffisant respiratoire en état stable sous oxygénothérapie longue durée (OLD) (5). Le patient respirant en air ambiant, on observait pendant l’acte sexuel une tachycardie, mais également une amélioration de la SaO 2 basale. Cette amélioration pourrait s’expliquer par une amélioration du rapport VA/Q secondaire à l’hyperventilation et à une meilleure perfusion du fait de la tachycardie. Les dysfonctions sexuelles chez la femme n’ont pas été étudiées de manière spécifique, probablement car il n’y a pas de critère objectif facilement évaluable comme la DE chez l’homme ; si la sécheresse vaginale est le principal « obstacle » organique rapporté, il est certain que d’autres facteurs plus complexes sont en cause (6). Les mécanismes de la dysfonction érectile Les facteurs étiologiques sont multiples et souvent intriqués. L’hypoxémie secondaire à la sévérité de la BPCO représente le facteur étiologique le plus souvent évoqué. Les effets de l’hypoxémie sur l’érection ont été étudiés en altitude chez des sujets sains ; au-delà de 4 450 mètres, la rigidité pénienne et la durée de l’érection sont diminuées (7). Les troubles de l’érection observés en altitude disparaissent lors du retour au niveau de la mer, ce qui montre que c’est bien l’hypoxie qui était en cause (8). Chez les sujets BPCO hypoxémiques ayant une impotence sexuelle, l’OLD a pu permettre dans environ un tiers des cas (5/12 patients) une récupération de leur puissance sexuelle, ce qui est également en faveur d’un rôle de l’hypoxémie sur la DE (9). Un déficit en hormones sexuelles, notamment en testostérone, a été également évoqué ; ainsi, un traitement par testostérone administré sur 26 semaines améliore la composition corporelle et partiellement la fonction érectile (10). L’inflammation systémique pourrait également jouer un rôle. Les patients avec une DE sévère ou modérée ont un taux de TNF alpha circulant significativement plus élevé que celui des patients avec une DE légère à modérée (11). Ce sont surtout les comorbidités associées à la BPCO, comme le diabète, les cardiopathies ischémiques et l’insuffisance cardiaque qui ont un rôle néfaste sur la sexualité des patients. Dans le suivi sur 3 ans d’une cohorte hollandaise de 975 hommes, le diabète et la BPCO au même titre que l’inactivité sexuelle étaient apparus comme des facteurs déterminants de la détérioration de la fonction érectile (12). Les troubles de l’érection sont également fréquents chez les patients en insuffisance cardiaque et/ou atteints d’une cardiopathie ischémique. Ainsi, chez les patients avec une insuffisance cardiaque stable, 87 % des femmes rapportent une dysfonction sexuelle et 84 % des hommes une DE (13). De plus, les traitements des cardiopathies, notamment les bêtabloquants peuvent avoir un fort impact sur la fonction érectile (14). L’existence d’un SAOS peut aussi expliquer un trouble de l’érection (15). C’est également une cause d’altération de la vie sexuelle chez la femme (16). Si les facteurs organiques doivent être recherchés et traités, ils n’expliquent pas totalement les troubles de la fonction d’excitation sexuelle ; ils ne sont souvent que la partie évidente d’un désordre général et de la modification profonde de la personnalité. La fonction d’excitation sexuelle ne résume pas la sexualité d’un patient À côté de l’âge et de la mauvaise santé, d’autres paramètres interviennent et doivent être évalués (17). La dysfonction sexuelle organique peut être affectée par le statut émotionnel du patient. La dépression est fréquente chez les patients BPCO, en particulier chez la femme ; la sexualité pourrait participer ou être secondaire à cet état dépressif (18). Chez un(e) patient(e) dépressif(ive), le désir sexuel est directement atteint. L’envie, l’élan, la motivation disparaissent, laissant la place à la tristesse et aux idées noires. L’excitation sexuelle par stimulation directe des organes génitaux peut encore fonctionner mais la personne s’en dégoûtera et s’en éloignera jusqu’à perdre ses érections réflexes. Le (la) partenaire devra être informé(e) des répercussions de la dépression sur le désir sexuel afin de ne pas les confondre avec la perte du sentiment amoureux. Chez l’homme, la DE entraîne une dévalorisation de son image, une perte de la masculinité et/ou de la féminité chez le partenaire attribuée au manque de désir de l’autre. La relation dans le couple est affectée par la maladie. L’environnement social peut jouer un rôle important : l’habitat, la présence d’enfants au foyer peuvent représenter un frein à une sexualité active. De même, la consommation d’alcool, l’intoxication tabagique et la consommation de drogues peuvent aggraver les problèmes sexuels. Enfin, « la spiritualité », la religion ainsi que la vision de sa maladie et de sa vie ont une influence sur la prise en charge de la BPCO et de ses problèmes. Par exemple, la vision de la vie et de la sexualité n’est pas la même chez un sujet croyant ou un athée, chez un catholique ou un musulman. Ces différentes composantes illustrent la difficulté d’évaluation des problèmes sexuels du patient BPCO. L’aspect social et le fait d’être en couple ou pas est une des conditions essentielles pour une sexualité active. Chez les patients sous VNI, la poursuite de l’activité sexuelle est observée essentiellement chez les patients mariés ou ayant une compagne. L’absence d’activité sexuelle était attribuée dans 18,8 % des cas à l’absence de partenaire. Les autres raisons évoquées pour l’inactivité sexuelle sont : « Je suis trop malade » (31,3 % des cas), « Je suis trop vieux » (18,8 %), « pas de partenaire » (7,2 %), « la machine » (4,8 %), « le manque de souffle » (4,8 %) (4). Une étude catalane chez 49 patients BPCO (âge moyen : 68 ans) sous OLD et leurs épouses a évalué l’impact de la maladie sur la relation du couple, la sexualité et enfin sur l’intérêt porté à la vie en général (19). Cette étude comportait un entretien séparément avec le patient et avec l’épouse. Au total, 33 patients (67 %) rapportaient des problèmes sexuels, impotence 14 fois, absence de désir 6 fois ou les deux 13 fois. Un tiers des épouses déclarent que la communication dans leur couple s’est modifiée du fait de la maladie ou du traitement par OLD. Concernant les rapports sexuels, l’absence de désir est le plus souvent rapportée dans 55 % des cas, et dans 37 % des cas, le principal souci est la dyspnée de leur époux pendant l’acte sexuel. Les épouses les moins satisfaites sont celles qui ressentent une modification de la communication dans leur couple. Les patients sont plus satisfaits de leur relation de couple que de leur vie ; pour les épouses, il existe une correlation entre la satisfaction dans la
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