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Rhinopoïèse ou épithèse ?
R. BEURTON*, J. FROHMAN**, *Service ORL et chirurgie cervico-faciale, Hôpitaux privés de Metz-site Sainte Blandine, **Épithésiste-oculariste, Metz

La reconstruction de la pyramide nasale (suite à un traumatisme ou une lésion tumorale) fait appel à des techniques complexes qui sont difficilement applicables chez des sujets fragiles. Le remplacement épithétique peut, dans certains cas, apporter une solution de substitution élégante.
Démonstration. Monsieur A. né en 1938 présente un épithélioma (EOA) sclérodermiforme de la pyramide nasale négligé depuis six ans. La lésion a provoqué une destruction majeure de toute la pointe du nez, s’étendant aux alaires jusqu’aux orifices piriformes droit et gauche et à la cloison en arrière. En haut, le nez présente une peau boursouflée jusqu’aux os propres. En bas, la columelle et la lèvre sont atteintes avec infiltration du filtrum et de l’orbiculaire des lèvres. L’examen anatomopathologique objective un EOA sclérodermiforme. Des prélèvements étagés sont effectués pour apprécier le volume tumoral et mettent en évidence des foyers de dysplasie associés à un foyer de carcinome épidermoïde au niveau de la partie médiane de la cloison et au niveau de la lèvre supérieure. Le patient est âgé et présente un terrain fragile : – BPCO avec asbestose suite à une exposition à l’amiante ; – troubles du rythme cardiaque type ACFA bénéficiant d’un pacemaker. Le patient doit être opéré sous anesthésie générale sous héparine calcique en relais des AVK. L’exérèse L’intervention doit correspondre aux critères carcinologiques et intéresse, dans ce cas, la pyramide nasale jusqu’aux orifices piriformes, la sous-cloison, la lèvre supérieure blanche avec résection du filtrum et de la lèvre supérieure rouge et de l’orbiculaire. Les berges d’exérèse sont examinées en extemporanée et les limites passent en zone saine à 1 cm tant en superficie qu’en profondeur, compte tenu de l’agressivité du CBC sclérodermiforme, dans ce cas, ponctué de foyers de carcinome épidermoïde. Cette exérèse en monobloc se plie aux exigences carcinologiques et non pas aux exigences de reconstruction. La reconstruction La lèvre supérieure La perte de substance (PDS) étant inférieure au tiers de la lèvre, une suture directe est effectuée avec rapprochement à l’aide de contreincision dans les sillons gingivojugaux supérieurs droit et gauche, puis une reconstruction cutanée, de la muqueuse et de l’orbiculaire, est réalisée. La pyramide nasale ( figure 1) Figure 1. L’épithèse pour reconstruire une pyramide nasale. Elle nécessite théoriquement une rhinopoïèse totale avec reconstruction en trois couches : – cutanée par lambeau frontal type Converse, Washio, ou même par lambeau libre type antébrachial préformé ; – ostéocartilagineux par greffon costal ou de la crête iliaque ; – muqueux, le plus difficile, par lambeau locorégional de cloison (réséqué dans ce cas) ou lambeau libre chinois. Discussions Ce sont des interventions : – peu fréquentes et les séries de la littérature ne comportent que peu de cas ; – lourdes, longues, nécessitant plusieurs temps opératoires. Si la chirurgie de reconstruction reste la meilleure solution, elle doit être discutée chez ce patient fragile. L’alternative, proposée par les épithèses, est un geste chirurgical bien plus léger, plus simple et moins traumatisant. Les épithèses à ancrage osseux Le concept d’ostéo-intégration Il a été établi d’après les travaux de Bränemark en Suède dans les années 1960. Ce concept, tout d’abord destiné à la cavité buccale, a vu ses indications s’étendre à la face, en ce qui concerne les épithèses et à certains appareils auditifs (BAHA). Les progrès dans la réalisation du filetage de l’implant, d’un épaulement éventuel à la partie supérieure de la fixture et dans le choix des sites à implanter (os de bonne qualité avec corticale solide) font que les résultats sont bons. Pose de l’épithèse ( figure 2) La mise en place des aimants se fait par l’épithésiste et la mise en charge de l’épithèse est effectuée après cicatrisation complète et ostéo-intégration, soit 2 à 3 mois après le geste initial (possibilité d’un tel geste après radiothérapie). Figure 2. Épithèse. Mise en place des aimants. Collaboration entre l’épithésiste et le chirurgien Cette technique élégante nécessite une parfaite symbiose et une complémentarité sans faille entre l’épithésiste et le chirurgien. Un plan préopératoire est élaboré quant à la résection et la future position des vis et des plaques à l’aide d’une tomodensitométrie 3D sous format DICOM. Cela permet de réaliser un modèle du tissu dur en stéréographie et une maquette conçu par l’épithésiste pour préadapter les plaques et produire un guide chirurgical. La présence au bloc de l’épithésiste est souhaitable pour une réalisation optimale ( figure 3). Figure 3. Plan préopératoire réalisé en tomodensitométrie 3D, sous format DICOM, pour la pose de l’épithèse. Figure 4. a. Vis bleue mise en place le temps de la cicatrisation. b. Magnets qui seront inclus dans la maquette en cire. Figure 5. a. Mise en moufle de la maquette en cire. b. Mise en place de la prothèse finie. L’épithèse doit répondre à certains critères fonctionnels et esthétiques : – être facile à manipuler, nettoyer et repositionner par le patient ; – permettre la respiration, ne pas blesser les tissus périphériques et ne pas gêner les mouvements de la lèvre supérieure ; – s’intégrer au visage tant par la forme que par la carnation. Huit semaines après l’intervention, on constate que la cicatrisation permet la prise d’empreinte. On remplace les vis de protection bleues par des aimants vissés sur les plaques, sur lesquelles viendront en regard leurs analogues magnétiques qui seront logés dans l’intrados de la future épithèse ( figure 4). La mise en place des aimants se fait au laboratoire, ainsi que l’essayage de la maquette en cire, l’ajustage des différents éléments et la mise en charge de l’épithèse terminée. Il est tout à fait possible d’effectuer tous ces gestes dès la fin des traitements de radiothérapie. Résultats Dans le cas présent, le patient présente une conservation de ses fonctions respiratoires ( airway nasal de bonne qualité) et buccales (alimentation et phonation normales) et des séquelles esthétiques, qu’il a psychologiquement acceptées, le résultat cosmétique étant de très bonne qualité ( figure 5). Conclusion Si la chirurgie doit être le moyen privilégié de reconstruction, l’épithèse chez les patients fragiles est l’option de choix. Cette technique peu invasive permet une bonne surveillance carcinologique et un résultat esthétique acceptable. Toutefois, l’hygiène locale doit être rigoureuse et le « vécu psychologique » de la prothèse bien envisagé. Elle nécessite alors une collaboration étroite entre l’épithésiste et le chirurgien, gage d’un résultat optimal.
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