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Que savez-vous du bâillement ?
O. WALUSINSKI, Brou

Quoi de plus banal que de bâiller ? La plupart d’entre nous n’y prête pas vraiment attention. Pourtant, ce comportement complexe reste mystérieux par bien de ses aspects. La pratique quotidienne d’un ORL le connaît, entre autres, comme un traitement des dysfonctionnements tubo-tympaniques.
Qu’est-ce qu’un bâillement ? L’observation d’un bâillement l’apprécie en une véritable stéréotypie comportementale. En une dizaine de secondes se succèdent toujours en suivant la même chronologie : – une inspiration ample, lente et profonde par une bouche largement ouverte. À cet instant, le tractus pharyngo-laryngé quadruple son diamètre par rapport au repos. L’inspiration d’air est essentiellement buccale ; – un bref arrêt des flux ventilatoires à thorax plein, l’acmé, souvent associé à des mouvements d’étirements des membres, joliment nommés pandiculations et une occlusion des yeux. Une larme peut couler sur la joue en raison de l’obturation du canal lacrymal. La trompe d’Eustache s’ouvre, entraînant une brève baisse de l’audition. Le cardia se relâche simultanément, provoquant un appel d’air intragastrique, responsable d’une impression de plénitude abdominale ; – une expiration passive, bruyante, plus ou moins lente, accompagnée d’une relaxation de tous les muscles concernés. La bouche se referme et le larynx reprend sa place initiale. La salive accumulée pendant le bâillement est déglutie. Une sensation de bienêtre se répand. Physiologiquement, l’homme, à l’âge adulte, bâille entre 3 et 10 fois par jour, essentiellement après le réveil, moment privilégié de la pandiculation, et avant l’endormissement. Ceux qui ont un chronotype du soir bâillent plus que ceux du matin. Les bâillements surviennent lors de toute baisse d’activité et de vigilance, lors d’une dette de sommeil mais aussi en accompagnement de la sensation de faim ou de satiété. L’activité des muscles respiratoires (diaphragme, intercostaux, scalènes) ne diffère en rien de celle d’une inspiration complète et très ample, alors que l’importance de l’ouverture pharyngo-laryngée, accompagnée d’un abaissement à leur maximum physiologique du cartilage thyroïde et de l’os hyoïde, est propre au bâillement. La contraction, simultanée à l’inspiration, des muscles du cou provoque une flexion modeste puis une extension marquée de celui-ci, portant la tête en arrière. Les mouvements de la tête font partie intégrante du cycle ouverture/fermeture de la bouche nécessaire à la mastication, à la déglutition, à l’élocution, au chant comme au bâillement. D’un point de vue phylogénétique, chez toutes les espèces, ce couplage fonctionnel a une valeur adaptative, sélectionnée car elle assure une meilleure capacité à saisir des proies mais aussi à se défendre et à combattre. Les différents types de bâillements L’existence de bâillements chez les reptiles confirme l’origine phylogénétiquement ancienne de ce comportement. Sa persistance inchangée dans son déroulement, au cours de l’évolution des vertébrés, marque son importance physiologique. On peut distinguer trois types de bâillements illustrant l’image des trois cerveaux hiérarchisés, proposés par P. MacLean (1913- 2007) dans les années 1960, le cerveau reptilien, paléo-mammalien et le cerveau néo-mammalien. Les horloges biologiques internes autorisent une adéquation précise entre besoins métaboliques (faim/satiété), les rythmes veille/sommeil (fonction de l’alternance lumière/obscurité) et les conditions d’environnement (avec, entre autres, une adaptation musculaire tonique à la pesanteur). Ces bâillements, universels chez tous les vertébrés, sont générés par le « cerveau reptilien », c’est-à-dire le tronc cérébral et le diencéphale. Seulement reconnaissables chez les mammifères et certains oiseaux, des bâillements apparaissent après un épisode de stress, témoignant de l’effet apaisant qu’ils procurent. Ainsi, les sportifs bâillent souvent avant une compétition ou les gens du spectacle avant d’entrer en scène. Ces bâillements sont générés par le cerveau paléomammalien (système limbique). Enfin, les grands singes et l’homme peuvent être sujets à une réplication comportementale ou échokinésie, alias contagion (terme inadéquat puisqu’il n’y a pas de transmission de pathogènes). Dans certaines conditions de dressage et de vie commune prolongée, certains chiens et certains perroquets semblent sensibles aux bâillements de leur maître mais pas à ceux de leurs congénères. Cette capacité de réplication nécessite une activité corticale élaborée dépendante du cerveau néo-mammalien. Que ce soit le bâillement émotionnel ou la réplication du bâillement, dans ces deux situations, le bâillement devient un mode de communication non verbal adapté à une vie sociale en groupe. Le bâillement illustre ainsi comment l’évolution a pu recycler un comportement, conservé morphologiquement à l’identique, dans des fonctions différentes. À quoi sert-il de bâiller ? La finalité des bâillements n’est toujours pas élucidée avec certitude scientifique, en ce début du XXI e siècle ! Il faut tordre définitivement le cou à une légende depuis trop longtemps, et malheureusement encore répétée : le bâillement n’améliore pas la perfusion cérébrale afin d’accroître son oxygénation. Les expériences montées par le psychologue américain R. Provine en 1987 ont scientifiquement invalidé l’idée d’une amélioration de l’oxygénation du cerveau en bâillant. Le bâillement comporte à son acmé une apnée, peu propice à cet effet. Les apnées volontaires ou involontaires ne sont pas suivies d’un bâillement « compensateur ». Les poissons bâillent, le fœtus bâille ; dans ces deux cas, l’ouverture buccale s’accompagne d’une inhalation liquidienne ! Voyons-nous bâiller le marathonien ? R. Provine a fait inhaler à des sujets un air surchargé en CO2 (3-5 %, pour une norme 0,5 %), ce qui accroît la fréquence ventilatoire mais pas celle des bâillements. A contrario, l’inhalation d’oxygène pur n’a pas inhibé les bâillements spontanés, survenant à leur fréquence habituelle. Les autres hypothèses sont multiples. Sans remonter à l’Antiquité, énumérons : un « phénomène de libération d’activité », l’ouverture des trompes d’Eustache, la compression thyroïdienne, l’évacuation du caseum amygdalien, la compression des glomus carotidiens, une communication non verbale, une autorégulation du système locomoteur après une immobilité, une stimulation de la sécrétion du cortisol. Personnellement, je reste attaché aux idées explicitées en 1963 par W. Ferrari, reprises par R. Baenninger en 1997, d’une stimulation de la vigilance. À côté des données explicitées ci-dessus, j’ai développé une nouvelle théorie publiée en 2014 dont la validation expérimentale reste à entreprendre. À l’acmé du bâillement, le retour veineux jugulaire est brièvement stoppé en raison de la compression exercée par les puissantes contractions musculaires cervicales et l’ouverture buccale maximale. À la fin de ce blocage, à la reprise du retour veineux, on assiste à une augmentation du drainage des sinus veineux intracrâniens qui recueillent l’exfiltrat du liquide cérébrospinal (CSF), soit environ 85 % de son drainage (le reste l’étant par les voies lymphatiques), au niveau des granulations d’A. Pacchioni (1665-1726). Ce mécanisme accroît brièvement la clairance de molécules somnogènes accumulées dans le CSF, durant la veille, telles l’adénosine (PGD2), la prolactine, le vasoactive intestinal peptide (VIP), l’anandamide (endo-cannabinoïdes), l’interleukine 1 ß et le TNF α. La baisse de concentration de ces molécules active la vigilance en « witchant » le « default mode network » (DMN), c’est-à-dire les structures cérébrales actives lors des pensées introspectives et de la méditation (cortex médio-frontal, cortex cingulaire postérieur, précuneus, etc.) vers le système attentionnel, c’est-à-dire les structures corticales fronto-pariéto-temporales externes. Notre théorie prend en compte les trois niveaux de données, conformément à la proposition de W. Ferrari et R. Baenninger que le bâillement « pourrait être considéré comme un effort du corps pour retarder l’apparition de sommeil et un mécanisme pour renforcer l’état de veille après le sommeil ». Chaque niveau est expliqué de la manière suivante : – au niveau comportemental et clinique, le bâillement apparaît lorsque l’attention n’est plus stimulée et que la personne est plongée dans des méditations autocentrées afin de lui redonner une vigilance active orientée vers l’environnement immédiat ; – au niveau des réseaux neuronaux, les bâillements désengagent le DMN et promeuvent le réseau attentionnel ; – au niveau moléculaire, les bâillements accélèrent le drainage du CSF, permet tant ainsi un accroissement de la clairance des substances somnogéniques et réduisant par là-même la propension à l’inattention et à la somnolence. On peut alors voir le bâillement comme un comportement neurovégétatif participant à l’homéostasie de la vigilance. De la réplication du bâillement Il est connu, depuis toujours, que le bâillement est « contagieux ». Ceci n’est en rien propre au bâillement. Le rire, les démangeaisons, les pleurs, etc. se transmettent aussi d’un individu à un autre. N’est sensible à l’échokinésie qu’un individu dans un état mental peu stimulé (transport en commun, par exemple), alors qu’un travail intellectuel soutenu le rend insensible. Des éléments éthologiques et neurophysiologiques montrent que l’échokinésie du bâillement n’est pas une simple imitation motrice. La reconnaissance visuelle de l’environnement met en jeu différents circuits neuronaux distinguant les objets inanimés des êtres vivants. La reconnaissance des visages humains répond à l’activation de neurones, spécifiquement dédiés, au niveau temporal. La région temporale inférieure permet une identification immédiate d’un visage dans sa globalité, tant pour l’identité que pour l’expression, en possédant, apparemment, une mémorisation autonome, non hippocampique. Le temporal supérieur (STS) s’active, lui, spécifiquement lors de percept ion des mouvements des yeux, de la bouche, suggérant son implication dans la perception visuelle des émotions. M. Schürmann et coll. ont visualisé l’activation du STS lors de l’échokinésie du bâillement, de façon automatique et involontaire, se transmet tant vers la région péri
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