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Les enfants multiallergiques : revue critique et conduite à tenir
Guy DUTAU, Allergologue, pneumologue, pédiatre, CHU de Toulouse

Le syndrome des allergies multiples (SAM) se caractérise par la succession et l’association des principales manifestations de l’allergie IgE-dépendante. L’allergie alimentaire (AA) et la dermatite atopique (DA) représentent les premiers symptômes du SAM chez le jeune nourrisson. Ces symptômes évoluent souvent vers des sensibilisations aux pneumallergènes et des allergies respiratoires à type de rhinite et/ou d’asthme. Il est capital de distinguer « sensibilisation » et « allergie ».
Le mot « sensibilisation » est un terme biologique est « l’état d’un individu qui possède des IgE spécifiques » que l’on peut détecter par la positivité des prick-tests (PT) et/ou par la présence d’IgE sériques spécifiques (IgEs) mesurés par des dosages biologiques (Rast ou Radio-Allergo-Sorbent-Test et méthodes dérivées). Le mot « allergie » est un terme clinique qui désigne « une réaction anormale, excessive, de l’organisme à un antigène (allergène) auquel il est particulièrement sensible ». Plus précisément, « sensibilisation » désigne une situation biologique (avec ou sans symptôme clinique) et « allergie » désigne un « événement clinique » (rhinite, asthme, urticaire, troubles digestifs, etc.) pour lequel le patient va consulter. Cette distinction est importante pour la bonne compréhension des symptômes allergiques et le terme de « sensibilisation allergique » est presque un pléonasme, le vocable « sensibilisation IgE-dépendante » (ou sensibilisation IgEmédiée ») étant préférable. Récemment, certaines firmes ont voulu promouvoir le dosage des IgG (en particulier des IgG4) dirigées contre certains allergènes, en particulier les aliments, comme des « marqueurs » d’une réaction allergique. Cette interprétation est fausse, et a bien été confirmée comme telle par les diverses sociétés savantes. En effet, la présence d’IgG contre les aliments (et les autres sortes d’antigènes) est une réaction normale du système immunitaire (1). Historique Si, de nos jours, la fréquence des allergies multiples est reconnue, elle ne l’était pas au début des années 1990 où le SAM était un phénomène nouveau, contemporain de « l’explosion de fréquence des allergies », en des AA, tout particulièrement à l’arachide (2). En 1991, Paupe et Scheinmann (3) ont rapporté 40 cas d’enfants qui avaient développé « une dermatite atopique, un asthme et une allergie alimentaire plus ou moins complexe ». La durée d’observation, de 19 mois à 16 ans, était ≥ 5 ans dans 72,5 % des cas. Fait important, la fréquence de cette association, faible chez les enfants nés entre 1973 et 1977, augmentait brusquement à partir de 1977. La plupart de ces enfants avaient une hyper-IgE, c’est-à-dire une augmentation des IgE sériques totales très largement supérieures aux valeurs normales attendues pour l’âge (a). Pour les auteurs, ces manifestations étaient indépendantes les unes des autres, l’amélioration d’une pathologie (par exemple celle de l’asthme) n’ayant pas d’effet sur l’évolution des autres, ce qui nécessitait une prise en charge élective, respiratoire, cutanée et digestive. En 1998, Rancé et Dutau (4) ont repris ce thème, se basant sut 45 patients, 26 garçons et 19 filles, âgés de 3 mois à 9 ans au moment du diagnostic. Des antécédents atopiques familiaux au premier degré étaient observés dans près de 80 % des cas. Les IgE totales étaient le plus souvent très élevées car, si les valeurs extrêmes allaient de 7 à 43 900 UI/ml, leur valeur moyenne était de 1 950 UI/ml. La plupart de ces enfants ont donc une hyper-IgE importante. La majorité avaient présenté une DA au cours des premiers mois de leur vie (93,3 %). Les manifestations initiales évocatrices d’AA étaient les suivantes : urticaire (30,3 % des cas), angio-œdème (26,1 %), asthme (10 %), œdème de Quincke (7,3 %). Les autres symptômes étaient plus rares (comme le syndrome d’allergie orale (2,3 %), les symptômes digestifs (2,3 %), le choc anaphylactique (1,5 %). Les allergènes alimentaires en cause étaient l’œuf de poule (36 fois), l’arachide (31 fois), la moutarde (23 fois), le lait de vache (20 fois), le poisson (19 fois), et plusieurs autres aliments variés (54 fois). Le diamètre moyen de l’induration induite par les PT était de 8 mm. La moyenne des IgE totales était de 13,2 UI/ml (extrêmes : 0,75-100 UI/ml). Le test de provocation par voie orale (TPO) permettait de préciser la dose réactogène (en moyenne de 900 mg, mais évidemment variable pour chaque aliment). À cette époque (où on ne réalisait pas d’induction de tolérance orale [ITO]), aucune amélioration ne fut enregistrée chez les allergiques à l’arachide alors qu’une guérison était observée très souvent pour les allergiques au lait de vache (80 % des cas à un âge moyen de 2 ans et 3 mois), souvent pour les allergiques à l’œuf de poule (52,7 % des cas à un âge moyen de 3 ans et 1 mois), et 2 fois respectivement pour le bœuf et le poisson, une fois pour la moutarde et le soja. La DA n’avait évolué favorablement que dans 42,8 % des cas ; l’asthme était apparu en moyenne à 2 ans et 8 mois, et une rhinite était survenue en moyenne à l’âge de 5 ans. Une sensibilisation aux pneumallergènes fut observée chez 35 enfants (77,7 %) (4). Ces deux séries, ont permis de bien observer le « profil clinique » de ces enfants atteints d’allergies multiples IgE-dépendantes, aux aliments et aux pneumallergènes en particulier polliniques, et de symptômes cliniques survenant dans un laps de temps très court (3,4). La croissance des enfants atteints d’AA multiples pouvant être compromise du fait des évictions alimentaires, Chong et coll. (5) ont étudié 74 enfants (51 % de garçons), 62 (84 %) atteints d’AA IgE-dépendantes, 8 (11 %) atteints d’AA mixtes, IgE et non IgE-dépendantes, et 4 (5 %) ayant des AA non IgE-dépendantes. Le nombre des exclusions alimentaires était d’un aliment (55 %), de 2 aliments (27 %), de 3 ou 4 aliments (8 %) et de 5 aliments ou plus (10 %). Ainsi, dans cette étude, près d’un enfant sur 2 avait deux AA ou davantage ce qui, comme nous le verrons plus loin, posait des problèmes nutritionnels (risque de carences alimentaires). Ces données sont en accord avec les résultats plus anciens de Gupta et coll.(6) obtenus aux États-Unis : – sur 38 480 enfants, 8 % avaient une AA ; – parmi ces 8 %, 30,4 % (soit près du tiers) présentaient plusieurs AA ; – les aliments en cause étaient l’arachide (25,2 %), le lait de vache (21,1 %), les fruits de mer (17,2 %) (6). Ces résultats varient selon les régions du pays (7). Explorations allergologiques Les deux principaux objectifs sont de confirmer les véritables allergies et, de ce fait, d’éviter les évictions abusives (5). Étude de l’anamnèse Les enfants multiallergiques ont presque toujours des antécédents atopiques familiaux au premier degré (mère et/ou père). Ils présentent presque toujours des antécédents atopiques personnels, en particulier une DA, souvent sévère. Surtout pour les enfants atteints d’AA multiples (ce qui représente le sujet de cette revue), il faut savoir, par un interrogatoire précis, s’il existe des antécédents typiques d’AA vis-à-vis des divers aliments pour lesquels on aura trouvé des PT et/ou des dosages d’IgEs positifs. Ceci est capital car, par exemple, en cas d’AA à l’arachide il est fréquent de trouver des PT positifs et/ou des IgEs élevées dirigées contre d’autres légumineuses ou divers fruits secs à coque, sans qu’il existe une pertinence clinique (terme qui signifie l’absence de réactions antérieures à ces aliments). Prick-tests cutanés Les prick-tests cutanés d’allergie (PT) sont interprétables dès que la peau est apte à réagir aux témoins positifs, phosphate de codéine à 9 p. 100 (substance entraînant une dégranulation spontanée et non spécifique des mastocytes cutanés) et au chlorhydrate d’histamine à 10 mg/ml (substance qui évalue la réactivité des récepteurs vasculaires H1 à l’histamine) (8). Si ces tests témoins sont positifs (induration d’au moins 3 mm), les PT aux divers allergènes seront interprétables (b), prouvant que la peau présente des mastocytes en quantité suffisante et qu’ils ne sont pas inhibés par un traitement antihistaminique (anti-H1) préalable (c). En pratique, les PT sont réalisables chez 66 % des nourrissons de moins de 1 mois et chez 90 % de ceux de moins de 3 mois. Les PT sont réalisés soit avec des solutions allergéniques commerciales (pneumallergènes, aliments), soit avec des aliments frais (dits natifs), soit pour certains allergènes végétaux avec la pulpe ou en piquant l’allergène végétal (fruit par exemple) puis la peau (technique du « prick plus prick ») (figures 1 à 3). Globalement la valeur prédictive négative (VPN) (d) est d’au moins 95 % alors que la valeur prédictive positive (VPP) est inférieure à 50 %. Certains auteurs, dans des circonstances méthodologiques bien précises, ont trouvé une corrélation entre la taille des PT et une forte probabilité de réactivité clinique, mais cette relation manque souvent en pratique clinique. Il faut manier les allergènes avec précaution car, même si les PT sont dépourvus de risque dans la quasitotalité des cas, il a été décrit des réactions systémiques parfois de type anaphylactique (encadré 1, figure 4). Il faut cependant se souvenir que ce risque était très important pour les IDR qui ne font plus partie des tests recommandés sauf dans le cas particulier des allergies médicamenteuses. Figure 1. Réalisation de prick-tests avec des aliments frais. Enfant allergique à l’arachide chez lequel on soupçonne une AA associée au sésame. De haut en bas se trouvent les témoins négatif et positif, l’arachide (AR) et le sésame (S). Les PT sont effectués avec une aiguille Stallerpoint ® munie de plusieurs pointes à son extrémité. Les tests sont en cours de réalisation. (Coll. G. Dutau) Figure 2. Même patient : réaction très positive à l’arachide (ARA) à 10-12 mm et encore plus nettement au sésame à 20-22 mm avec pseudopodes et prurit). Cet enfant se révélera doublement allergique à l’arachide et au sésame. (Coll. G. Dutau) Figure 3. Lorsque de très nombreux PT doivent être effectués, chez un jeune enfant, la peau du dos peut être utilisée. Les PT montrent que cet enfant est sensibilisé à l’arachide (ARA) en haut et à gauche, aux acariens (en haut et à droite) et à l’œuf plus fortement. Blanc d’œuf (en bas et à droite), jaune d’œuf en bas et à, gauche. Confirmation d’une AA à l’œuf et à l’arachide. (Coll. G. Dutau) Figure 4. Prick-tests (PT) simultanément positifs à plusieurs poissons. Un patient allergique à une
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