Guy DUTAU, Allergologue, pneumologue, pédiatre, CHU de Toulouse
Le kiwi est l’exemple type du fruit exotique qui, après avoir été cultivé en Nouvelle-Zélande au milieu du XXe siècle(a) et été exporté aux États-Unis autour de 1960, s’est acclimaté dans de nombreux pays du monde(b). Couramment consommé depuis plusieurs dizaines d’années, il est cultivé en France(c) depuis 1965. Le kiwi, originaire de Chine (province de Shaanxi), appartient à la famille des Actinidiacées et au genre Actinidia. On dénombre plus de 60 espèces qui poussent facilement sous forme d’arbres à lianes pouvant atteindre jusqu’à 10 mètres de haut(1,2). Le kiwi appartient principalement à quatre espèces : A. deliciosa (larges et à pulpe verte) ; A. chinensis (larges à pulpe verte, mais aussi jaune ou rouge) ; A. arguta (petits et dépourvus de poils) ; A. erientha (petit et possédant des poils)(2). Le kiwi est dénommé par les Anglo-Saxons « groseille de Chine » (Chinese gooseberry). La pulpe est de saveur sucrée, de couleur le plus souvent verte ou jaune, avec plusieurs nuances possibles, et comporte des graines (pépins) comestibles(d). Le kiwi, surtout riche en vitamine C, contient aussi des vitamines A et E, du calcium, de l’acide folique et des fibres. Il est consommé en tant que fruit, mais aussi en salades, gâteaux, sirops, sorbets (etc.).
Épidémiologie La première observation d’allergie au kiwi a été décrite en 1981 par Aaron J. Fine (3), sous la forme d’une urticaire généralisée modérément sévère, après le contact des mains avec le fruit. Par la suite, les premiers cas d’allergie alimentaire (AA) ont été rapportés sous forme d’observations isolées ou de courtes séries (1). Si la prévalence de l’AA au kiwi n’est pas connue dans la population générale, Bedolla- Pulido et coll. (4) ont estimé à 15 sur 226, soit 6,6 % (IC95% : 3,90 à 10,7), la fréquence de la sensibilisation au kiwi. Deux des 15 sujets sensibilisés avaient des symptômes d’AA au kiwi, l’un un syndrome d’allergie orale (SAO) et l’autre des symptômes gastro-intestinaux et cutanés (4). Lucas et coll. (5) ont rapporté les caractéristiques d’une importante série de 276 patients allergiques au kiwi, âgés de 5 mois à 86 ans (médiane : 38,8 ans). Ils étaient âgés de 31,5 ± 18,9 ans au moment de leurs premiers symptômes ce qui, comparativement à leur âge moyen au moment du diagnostic (28,8 ans), témoignait d’un retard souvent important à l’établissement du diagnostic. Dans cette étude, si les symptômes se limitaient en général à un SAO banal, ils étaient tout de même sévères chez 18 % des patients (bronchospasme, cyanose, collapsus). D’ailleurs, les deux premières observations historiques d’AA au kiwi étaient des anaphylaxies (3,6). De plus, dans cette étude, les enfants âgés de moins de 5 ans réagissaient plus souvent que les adultes à la première exposition au kiwi (p 0,001), les symptômes sévères étaient plus fréquents au-dessous de l’âge de 5 ans qu’au-delà de 15 ans (p = 0,008) (5). Enfin, les auteurs montraient que l’AA au kiwi n’avait pas tendance à guérir spontanément : si le premier épisode était grave, les suivants l’étaient aussi (2). D’autres observations d’anaphylaxie ont été rapportées (3,6,7). Ozturk et Özyiǧit (8) ont décrit un cas familial d’allergie au kiwi. Symptômes de l'allergie au kiwi Modérés à sévères, les symptômes sont de plusieurs types : i) urticaire de contact ; ii) syndrome d’allergie orale (SAO) ; iii) anaphylaxie après l’ingestion du fruit ; iv) rhinite, toux et asthme à l’épluchage ou après la consommation du fruit. Les symptômes d’allergie surviennent à tout âge (nourrisson, enfant, adulte) (1,2,9). En dehors des symptômes classiques d’allergie immédiate IgE-dépendante, plus ieurs formes d’allergie ou d’intolérance au kiwi ont été décrites : • Le kiwi a été incriminé dans le syndrome d’entérocolite induit par les protéines alimentaires (SEIPA) chez une fillette âgée de 6 moi s présentant une léthargie, une hypotonie, des vomissements et une diarrhée (10), mais d’autres cas sont connus (0,5 % des SEIPA) (11). • Certains aliments ont été mis en cause dans plusieurs cas de pancréatites aiguës comme, en 1998, le kiwi (12). En dehors du kiwi, d’autres aliments ont été incriminés (moutarde, lait de vache, œuf de poule, banane, poisson) mais la physiopathologie, probablement associée à une AA, reste inconnue (13). • Le kiwi est également responsable d’éruptions fixées ( Fixed Drug Eruption [FFE]) caractérisées par des papules érythémateuses, bien circonscrites, survenant toujours au même endroit à la suite d’une exposition systémique à la cause. L’une des causes peut être un aliment, dont le kiwi dans sa variété Actinidia arguta (hardy kiwi) très consommé en Corée, au Japon et en Chine (14). Dans l’observation de Sohn et coll. (14), le FFE fut confirmé par un test de provocation par voie orale (TPO) et par une biopsie cutanée. • Plusieurs cas d’urticaire de contact IgE-dépendante, le plus souvent sur une peau présentant des lésions de dermatite atopique, ont été décrits (15). L’allergène responsable est thermolabile, détruit par la digestion. Il s’agit d’une protéine native qui est un allergène autre que les 13 allergènes connus du kiwi, ne présentant pas de réactivité croisée avec le latex, le bouleau, les profilines et les protéines de transfert lipidique (15). • Garcia et coll. (16) ont rapporté un cas de monosensibilisation IgE-dépendante au kiwi chez une femme de 26 ans, se traduisant par des symptômes récidivants (prurit, puis dysphagie avec vomissements et urticaire) avec forte positivité des tests cutanés et présence d’IgE sériques spécifiques (IgEs) à 187 UI/ml. • Doré et coll. (17) ont décrit 43 cas de diagnostic difficile donnant lieu essentiellement à des symptômes buccaux IgE-dépendants. Dans 3 cas sur 4, les tests cutanés effectués avec le kiwi frais étaient intensément positifs. Utilisée sous forme fraîche pour les prick-tests (PT), la pulpe de kiwi peut être responsable de réactions systémiques. • Des asthmes professionnels induits par la papaïne contenue dans certains fruits comme le kiwi (également la figue). L’observation de Jiang et coll. (18) concernait un homme de 53 ans, atopique, atteint de rhinite allergique, dont les symptômes d’asthme débutèrent 5 ans plus tôt lorsqu’il commença à travailler dans une firme d’alimentation utilisant la papaïne comme attendrisseur. Peu de temps après, il développa des symptômes oraux et pharyngés (prurit de la bouche et de la langue, angio-œdème après l’ingestion de kiwi et de figue). Le diagnostic fut confirmé par la positivité du dosage des IgEs dirigées contre le kiwi (2,95 kUA/l), la papaïne (> 100 kUA/l) et la chymopapaïne (95 kUA/l). Parmi 13 patients de la littérature allergiques à la papaïne et atopiques, 85 % (1 1/13) se sensibilisent à la papaïne par voie inhalée et 4 % (4/11) voie digestive (18) (e). Allergènes du kiwi On dénombre plus d’une dizaine d’allergènes du kiwi. L’actinidine (Act d 1), enzyme protéolytique, de PM 30 kilodaltons (kDa), est considérée comme l’allergène principal. Identifié par Pastorello et coll. (19) comme l’allergène majeur du kiwi, c’est une protéine de 30 kDa, l’actinidine (Act d 1), enzyme protéolytique de la classe des thiolprotéases. Les autres allergènes sont Act d 2 ( Thaumatine-like Protein, TLP) qui est un allergène majeur, Act d 4 (cystatine), Act d 5 (kiwelline), Act d 7 (pectine estérase), Acr d 8 (protéine Bet v 1- like), Act d 9 (profiline), Act d 10 (protéine de transport lipidique) et Act d 11 (la protéine majeure du latex qui est une chitinase de classe 1). Le kiwi jaune ( Actinidia chinensis, angl. : gold kiwi) est aussi allergénique que le kiwi vert ( Actinidia deliciosa, angl. : green kiwi) (20). Kiwi jaune. Culture de kiwis verts. Critères diagnostiques Si autour des années 1980-1990, on ne pensait pas toujours au kiwi devant des symptômes allergiques récidivants (17), l’engouement pour les fruits exotiques a modifié les conditions du diagnostic. Le diagnostic repose sur : i) un interrogatoire policier qui précise les données de l’anamnèse ; ii) les prick-tests (PT) avec les aliments frais qui donnent des résultats supérieurs à ceux des allergènes commerciaux (21) ou la technique du prick-plus-prick ou piqûre de la chair du kiwi suivi d’une piqûre de la peau du patient) ; iii) le dosage des IgEs (K84) vis-à-vis du kiwi (figure 1). Figure 1. Prick-test (prick-plus-prick) fortement positif avec le kiwi natif. Induration de 3/4 mm avec pseudopodes, entouré d’un érythème très important, chez un garçon âgé de 6 ans (Coll. GD). Toutefois, la sensibilité des PT est de 95 à 100 %, mais leur spécificité est faible (moins de 40 %) car il existe de nombreuses sensibilisations croisées avec le latex, les pollens de bouleau, ceux des graminées et de l’armoise, la pomme. Le dosage des IgEs n’est pas fiable car, si la spécificité est de 100 %, la sensibilité n’est pas bonne (autour de 50 %) et les allergènes commerciaux sont souvent dégradés pendant la phase d’extraction des allergènes (21). Le TPO demeure le test diagnostique de référence. L’utilisation du diagnostic basé sur les composants allergéniques (Component-Resolved Diagnosis) associe le dosage des IgEs de façon unitaire contre le recombinant rAct d 8 et contre la PR-10. Dans la puce ISAC ®, on peut doser les IgEs contre l’actinidine (nAct d 1), la protéine thaumatine- like (nAct d 2), la kivelline (nAct d 5), la protéine PR-10 (nAct d 8). Les deux principaux phénotypes de l’AA au kiwi sont le SAO et l’anaphylaxie. Pour le SAO, le plus souvent associé à une allergie aux pollens de graminées ou de bouleau, le dosage des IgEs est positif vis-à-vis de Act d 8, mais il peut exister des variations régionales, par exemple en Italie avec présence d’IgEs contre Act d 9 et allergie associée au melon ou à la tomate. Au cours des réactions généralisées (anaphylaxie), il existe en général une sensibilisation isolée à Act d 1 (actinidine). Les allergies croisées sont fréquentes : i) jusqu’à 40 % des allergiques au latex peuvent être allergiques au kiwi ; ii) ce pourcentage est encore plus élevé pour les patients allergiques à d’autres fruits (avocat, banane, châtaigne, litchis) fréquemment en cause chez les allergiques au latex (22). Finalement, Juchet et Chabert- Broué proposent de réaliser les examens suivants : i ) prick-plus-prick au kiwi natif, à la pomme crue et à la pomme cuite ; ii) PT au latex, à l’avocat, à la banane, à la châtaigne, aux pollens de graminées et de bouleau ; iii) dosage unitaire des IgEs dirigées contre le kiwi (f84), rAct d 8 (protéine PR10), rHev b 11 (chitinase), rHev b 8 (profiline), rPru p 3 (protéine de transfert lipidique), rHev b 6 (hévéine) ; iv) éventuellement puce ISAC ® pour doser les IgEs contre nAct d 1 et nAct d 2) ; v) TPO pour être certain du diagnostic (sur avis allergologique et en milieu spécialisé) (22) (g). En cas de doute, le test de provocation par voie orale (TPO) demeure l’examen de référence (23). Ajoutons un mode de transmission peu commun de l’allergie au kiwi , par procuration par l’intermédiaire du baiser (h). C’est le syndrome d’allergie induite par le baiser (SAIB) comme dans l’observation de Mancuso et Berdondini (24) : il s’agissait d’un baiser d’amour d’un partenaire ayant auparavant consommé du kiwi. Ces allergies par procuration concernent de nombreux
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