Pollution atmosphérique, pollens, virus respiratoires : un trio inflammable
Fabien SQUINAZI, Médecin biologiste, président de la Commission spécialisée « Risques liés à l’environnement » du Haut Conseil de la santé publique, Paris
Les 10 000 à 20 000 litres d’air inhalé par jour sont des vecteurs de divers polluants, particules fines, microorganismes et pollens, qui agissent concomitamment sur l’épithélium respiratoire. Cette barrière physique efficace, qui couvre les cavités nasales jusqu’aux bronchioles terminales, entraîne vers la trachée environ 90 % des grosses poussières inhalées, y compris les pathogènes respiratoires, piégées dans le film de mucus. Toutefois, les particules fines, inertes et biologiques, potentiellement dangereuses pour l’homéostasie tissulaire locale, peuvent déclencher dans la cellule, en se liant à leur récepteur cellulaire, une réponse inflammatoire visant à éliminer l’agresseur. Une réponse adaptée, modulée et résolutive après l’élimination de l’agression. Cet article présente les différentes synergies entre ces agents exogènes sur l’épithélium respiratoire.
LES RISQUES DE LA POLLUTION ATMOSPHÉRIQUE À de faibles niveaux de concentration, l’exposition aux polluants de l’air peut provoquer, le jour même ou dans les jours qui suivent, des symptômes irritatifs au niveau des yeux, du nez et de la gorge, mais peut également aggraver des pathologies respiratoires chroniques (asthme, bronchite…) ou favoriser la survenue d’un infarctus du myocarde, voire provoquer le décès. L’augmentation de la mortalité et des hospitalisations pour causes cardiovasculaires est attribuée aux particules fines, tandis que l’augmentation de la mortalité et des hospitalisations pour causes respiratoires est attribuée à l’ozone et au dioxyde d’azote. Les effets du dioxyde d’azote, traceur de la pollution lié au trafic, sont plus importants chez les personnes âgées de 75 ans et plus et pendant la saison chaude. À plus long terme, même à de faibles niveaux de concentration, une exposition sur plusieurs années à la pollution atmosphérique peut induire des effets sur la santé bien plus importants qu’à court terme. De nombreuses études montrent un rôle de la pollution atmosphérique sur la perte d’espérance de vie et la mortalité, mais également sur le développement de maladies cardiovasculaires (maladies coronariennes, accidents vasculaires cérébraux), de maladies respiratoires (bronchopneumopathie chronique obstructive, asthme, infections respiratoires inférieures) et du cancer du poumon. Les polluants sont responsables d’une toxicité directe sur les cellules pouvant entraîner des altérations génétiques, d’une action indirecte via une réaction pro-inflammatoire et un stress oxydatif et d’un affaiblissement des mécanismes de défense. Le rôle de la pollution atmosphérique a été également montré sur les troubles de la reproduction, les troubles du développement de l’enfant, les affections neurologiques et le diabète de type 2. Une évaluation quantitative d’impact sanitaire en France continentale, sur 25 années d’exposition, a conclu que près de 40 000 personnes décèdent chaque année de la pollution de l’air, correspondant à une perte de 7,6 mois d’espérance de vie. INTERACTION POLLUTION ATMOSPHÉRIQUE ET COVID-19 La Covid-19 plus grave dans les zones polluées En mars 2020, une publication de la société italienne de médecine environnementale établissait des corrélations entre les niveaux de pollution aux particules fines et la forte et rapide augmentation des cas de contamination à la Covid-19 dans la région très industrielle du nord de l’Italie (Lombardie, Piémont, Vénétie et Émilie-Romagne). Les auteurs ont confirmé l’association entre le nombre de dépassements quotidiens de la valeur limite de PM 10, enregistrés entre la période du 10 février 2020 au 29 février 2020, et le nombre de personnes malades de la Covid-19 au 3 mars 2020, ainsi qu’avec un niveau de létalité. Cette situation n’était pas nouvelle, car en 2003, une étude en Chine avait montré que les patients contaminés au virus du syndrome respiratoire sévère (SRAS) et vivant dans des régions modérément polluées avaient 84 % de plus de risques de mourir du SRAS que les patients de régions peu polluées, et ceux vivant dans des régions avec des niveaux élevés de pollution avaient deux fois plus de risques de décès. Les études épidémiologiques publiées ensuite sur la corrélation entre le niveau d’exposition à la pollution atmosphérique à court ou long terme et la gravité de l’épidémie de Covid-19 allaient dans le même sens, sans toutefois apporter des éléments d’explication causale. Les premières études globales ont été réalisées au début de la pandémie dans 120 villes de Chine entre le 23 janvier 2020 et le 9 février 2020. Les auteurs concluaient à une relation statistiquement significative entre l’exposition à court terme à une forte pollution atmosphérique et un risque accru d’infection à la Covid-19. La répartition géographique de la Covid-19 et sa corrélation avec plusieurs indices annuels de qualité de l’air, incluant les épisodes de pollution élevée, ont été étudiées en Chine, en Iran, en Italie, en Espagne, en France, en Allemagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Cette étude a enregistré plus d’infections virales dans les régions touchées par des valeurs élevées de particules PM 2,5 et de dioxyde d’azote. Aux Pays-Bas, en février 2020, un doublement des cas était observé lorsque la concentration de PM 2,5 passait de 10 μg/m 3 à 12 μg/m 3. En Angleterre, les niveaux de marqueurs de mauvaise qualité de l’air, dont les oxydes d’azote et le dioxyde de soufre, étaient associés à un nombre accru de décès liés à la Covid-19, après ajustement avec la densité de population. L’association des données épidémiologiques aux mesures satellitaires de la pollution concluait, après modélisation, que 5 % des décès dus à la Covid-19 dans le monde pouvaient être attribués à une exposition à long terme à la pollution de l’air, dont les particules fines. En Europe, la proportion était d’environ 19 %, en Amérique du Nord de 17 % et en Asie de l’Est d’environ 27 %. Une publication de l’Université de Harvard montrait qu’une augmentation de seulement 1 μg/m 3 du niveau de PM 2,5 auquel la population serait chroniquement exposée, était associée à une augmentation de 15 % du taux de mortalité à la Covid-19. Les auteurs formulaient l’hypothèse que l’exposition à long terme à la pollution atmosphérique augmentait le risque de développer des formes graves de la maladie. Les hypothèses sur les mécanismes d’aggravation de la Covid-19 La première hypothèse proposée pour expliquer ce lien entre pollution atmosphérique, surtout particulaire, et aggravation de la Covid-19, se focalise sur la réponse inflammatoire caractéristique de la maladie, en particulier dans les formes graves avec « l’orage cytokinique », et sur le rôle de l’inflammation dans les pathologies liées à la pollution atmosphérique. De nombreuses données épidémiologiques et toxicologiques associent les particules fines (PM 2,5, PM 10) et ultrafines (PM 0,1) à une réponse inflammatoire au niveau des voies aériennes et pulmonaires et à l’augmentation de la morbidité et de la mortalité respiratoire et cardiovasculaire. « Le stress respiratoire chez les personnes infectées par le SARS-CoV-2 pourrait être influencé par cette fragilisation préalable due à la pollution, et aggraver l’infection. Les patients souffrant de maladies pulmonaires et cardiaques chroniques, causées ou aggravées par une exposition de longue durée à la pollution de l’air, sont moins capables de lutter contre les infections pulmonaires et risquent davantage de décéder », résume l’Observatoire régional de la santé d’Île-de- France. De manière plus générale, la pollution atmosphérique, en jouant un rôle d’adjuvant, est un facteur d’aggravation des maladies infectieuses respiratoires via une augmentation de l’inflammation pulmonaire. Une autre hypothèse a été développée qui, sans être exclusive de la précédente, pourrait expliquer les formes graves de la Covid-19 dans les régions soumises à une pollution atmosphérique chronique. Des chercheurs italiens considèrent que l’expression du récepteur ACE2, porte d’entrée du SARS-CoV-2 dans les cellules, pourrait être modulée par les hydrocarbures aromatiques polycycliques des PM 2,5. Une augmentation de l’expression pulmonaire de ACE2 a été observée expérimentalement après installation intratrachéale de PM 2,5 chez la souris. Ainsi, plusieurs facteurs pourraient expliquer l’aggravation de la Covid-19 dans les zones polluées : un stress oxydant à l’origine de l’inflammation bronchique et une surexpression pulmonaire du récepteur ACE2 associée à une exposition chronique à la pollution aux particules et au dioxyde d’azote chez les malades atteints de formes graves de Covid-19. Cette surexpression d’ACE2 sur la membrane plasmique des cellules des voies aériennes conduirait à une fixation plus importante des particules virales par l’intermédiaire de la protéine Spike et un risque de sévérité accrue de la maladie. Selon le niveau d’expression du récepteur ACE2 dans les voies respiratoires et jusqu’aux alvéoles, le développement de l’infection irait des formes asymptomatiques jusqu’aux formes les plus sévères. INTERACTION POLLUTION ATMOSPHÉRIQUE ET POLLENS Les pollens sont responsables de réactions allergiques, appelées pollinoses, au niveau des muqueuses respiratoire et oculaire, ce qui se traduit surtout par des rhinites et des rhino-conjonctivites saisonnières, et plus rarement de l’asthme. L’allergie aux pollens se développe généralement chez l’adolescent ou chez l’adulte jeune qui présente une prédisposition génétique ou atopie, mais l’allergie à des pollens particuliers (cyprès, ambroisie…) peut concerner n’importe quelle personne, si elle a subi une exposition suffisamment intense et prolongée. La prévalence a été estimée au plus à 7 % chez les enfants de 6-7 ans, 20 % chez les enfants de 9 à 11 ans, 18 % chez adolescents de 13-14 ans et 31-34 % chez les adultes. La contribution des différents pollens responsables de la pathologie allergique dépend de la localisation géographique et de la période de l’année : pollinisation hivernale et printanière des arbres et arbustes, pollinisation des plantes herbacées (graminées, plantain, oseille) du milieu du printemps à l’été, et pollinisation des espèces du genre Ambrosia de la mi-août à la fin septembre. Depuis quelques décennies, la date de début de pollinisation de nombreuses espèces végétales tend à devenir plus précoce, de quelques jours à plus d’une quinzaine de jours, ce qui a pour conséquence d’allonger la durée de la pollinisation. Cette précocité semble plus marquée pour les plantes à floraison précoce de janvier à avril. Des études expérimentales montrent que l’élévation des températures atmosphériques et de la concentration en CO 2 rend certains pollens plus allergisants. Il a été observé que la quantité d’allergènes dans les grains de pollen de bouleau et d’ambroisie augmentait avec la température. Le changement climatique pourrait également
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