Guy DUTAU, allergologue, pneumologue, pédiatre, Toulouse
En plus de cinquante ans, l’arachide est devenue la première cause d’allergie alimentaire (AA) après l’âge de 3 ans(1,2). Les allergènes de l’arachide, actuellement au nombre d’une dizaine, ont été isolés et caractérisés. Ce sont des glycoprotéines de 14 à 65 kDa (de Ara h1 à Ara h9) surtout présentes dans le cotylédon. Le beurre d’arachide en contient (possibilité de crises d’asthme par inhalation d’allergènes volatils à l’ouverture de récipients contenant du beurre d’arachide). Les huiles d’arachide peuvent aussi contenir des quantités variables d’allergènes, le plus souvent très faibles) : 1 µg (huiles raffinées) à 3,3 µg (huiles brutes) par millilitre d’huile. Actuellement, ces huiles sont hautement raffinées et sans risque patent pour l’allergique à la cacahuète(2).
LES SYMPTÔMES DE L’ALLERGIE À L’ARACHIDE SONT CEUX DE L’ALLERGIE ALIMENTAIRE EN GÉNÉRAL Les symptômes de l’allergie à l’arachide sont tous ceux de l’AA en général : digestifs (symptômes d’allergie orale [SAO], vomissements, diarrhée, douleurs abdominales), cutanés (poussées de dermatite atopique, urticaire généralisée, angioœdème), respiratoires (rhinite, spasme laryngé, stridor, bronchospasme), symptômes d’anaphylaxie. Les anaphylaxies graves prélétales et létales sont le plus souvent observées chez des individus également atteints d’asthme sous-jacent, présent entre 75 et 90 % selon les statistiques. Fait important, cet asthme est, soit ignoré, soit connu, en général non ou mal contrôlé par le traitement de fond à base de bêta2- stimulants de longue action et de corticoïdes inhalés. L’absence ou le retard d’utilisation de l’adrénaline est également responsable de décès. Les voies de pénétration des allergènes d’arachide sont multiples : ingestion, inhalation et contact. Les patients allergiques à l’arachide par ingestion peuvent l’être aussi par inhalation et, dans ce cas, ils sont sensibles à de très faibles doses d’allergènes. Le contact avec l’arachide peut se faire « par procuration » c’est-à-dire par un intermédiaire. À titre d’exemples : le contact de cacahuètes qui « contaminent » d’autres fruits secs dans un plat de fruits secs mélangés ou le baiser donné à un individu allergique à l’arachide par une personne qui vient de consommer des cacahuètes. LE DIAGNOSTIC EST BASÉ SUR L’INTERROGATOIRE, LES TESTS CUTANÉS ET LES DOSAGES DES IGES (2,3) La circonstance de survenue la plus fréquente est la consommation de cacahuètes au cours d’un apéritif familial, mais les allergènes de l’arachide sont souvent masqués (céréales du petit déjeuner, pains, produits de grignotage, laits et laitages, glaces, boissons et soupes, substituts de viandes, charcuteries). La concentration des allergènes augmente au fur et à mesure des cuissons dans une huile de friture que l’on ne change pas. L’arachide fait partie des aliments dont l’inscription est obligatoire sur les étiquetages : la contamination des ustensiles au cours de la chaîne de fabrication d’un produit peut les contaminer. En cas de doute, les fabricants indiquent sur les étiquettes la mention « peut contenir des traces d’arachide ». Les dires des patients n’ont pas de valeur diagnostique : celui-ci doit être porté par un médecin et une équipe médicale spécialisée a. LES PRICK-TESTS Les prick-tests (PT) se font avec des solutions commerciales d’allergène commercial ou avec l’aliment frais (figures1 et 2) : un grain de cacahuète est fragmenté, pilé au mortier et additionné de sérum physiologique. On effectue un prick-test à travers un peu de cette mixture préalablement déposée sur la peau. Ils sont plus fortement positifs avec l’aliment frais qu’avec l’extrait commercial. Certains auteurs ont proposé des valeurs seuil au-dessus desquelles les tests de provocation par voie orale (TPO) ont 100 % de chances d’être positifs (elles sont d’au moins 4 mm chez l’enfant âgé de moins de 2 ans et au moins 8 mm après l’âge de 2 ans). Un test cutané négatif n’élimine pas le diagnostic. Il peut arriver que, les PT ne soient pas suffisants pour porter le diagnostic avec certitude. Figure 1. Technique des prick-tests avec les aliments frais. Un grain de cacahuète est fragmenté, broyé et pilé au mortier, puis additionné de sérum physiologique. On effectue un prick-test à travers un peu de cette mixture préalablement déposée sur la peau. Figure 2. Différence d’intensité entre la positivité des prick-tests avec un extrait commercial, en haut, et un extrait natif, au-dessous. LES TESTS BIOLOGIQUES Les dosages d’IgEs (Rast f13) sont indispensables au diagnostic. Plusieurs auteurs ont déterminé des valeurs seuils des dosages d’IgEs au-dessus desquelles le TPO a 95 % de chances d’être positif (technique du Rast Phadia Cap System ®). La valeur seuil pour l’allergène complet la plus communément admise est de 14 kUA/l (4,5). Au cours de l’AA à l’arachide, au moins 95 % des individus avant des PT positifs ont des IgEs dirigées contre les allergènes moléculaires r Ara h1, r Ara h2 et r Ara h3 et présentent des symptômes après la consommation d’arachide. Ces protéines sont des protéines de stockage des graines, résistantes à la chaleur et potentiellement la cause de réactions sévères. Une IgE-réactivité contre r Ara h1 (protéine PR10), associée à une allergie aux pollens de bouleau ou d’autres bétulacées, est observée au cours de symptômes mineurs comme le syndrome d’allergie orale (SAO) (6). Le diagnostic est amélioré si on combine la positivité des PT et celle des IgEs (7). Une IgE-réactivité vis-à-vis de r Ara h9 (stable à la chaleur et en milieu digestif) peut être observée aussi bien pour des SAO que pour des symptômes sévères. Ara h8 est associé à des réactions croisées avec les pollens et à des réactions légères à l’ingestion d’arachide (18 % des sujets allergiques à l’arachide) (6). Le dosage des IgG4 spécifiques de l’arachide et, plus généralement contre les divers aliments n’a strictement aucun intérêt pour le diagnostic d’AA (8). LE TEST DE PROVOCATION PAR VOIE ORALE Le TPO, « étalon-or » du diagnostic, permet d’affirmer l’arachide sans équivoque une AA à l’arachide, car il reproduit les symptômes cliniques et permet de déterminer la dose réactogène (DR). Il existe une corrélation entre une faible DR et des symptômes sévères au cours des TPO ainsi que dans la vie courante. Les allergiques à l’arachide sont très exposés à l’extérieur lors de la consommation d’aliments pouvant contenir à l’arachide (restaurant) alors qu’ils sont en sécurité à leur domicile eu égard à la facilité du contrôle de leur alimentation quotidienne. L’arachide est un allergène puissant capable de provoquer des réactions sérieuses au cours des TPO, ce qui implique plusieurs conséquences pratiques : il faut impérativement effectuer les TPO en milieu spécialisé, sous la surveillance étroite d’un médecin et d’infirmières rompues à la réalisation des tests, avec pose systématique d’une voie veineuse de sécurité, dans une structure apte au traitement d’une anaphylaxie, proche d’une unité de réanimation. Il existe des centres experts d’allergologie alimentaire dans la plupart des CHRU de France b. Des recommandations de bon sens et de prudence Le TPO est indispensable dans les cas douteux ou lorsque plusieurs aliments sont incriminés c. La DR (seuil minimal de réactivité ou dose réactogène) fournit des éléments pour établir le programme d’éviction chez l’enfant et le Projet d’accueil individualisé (PAI) en milieu scolaire : cette dose peut être inférieure à 1 mg. Pour des raisons éthiques, le TPO est le plus souvent récusé si le motif de consultation est une anaphylaxie b. Une fois que le diagnostic d’AA à l’arachide a été établi, il faut rechercher les réactions croisées avec les autres légumineuses (d’une part) et les fruits secs à coque (d’autre part). Avec les autres légumineuses : possibilité de réactions croisées avec les lentilles, les petits pois, les haricots, et surtout le lupin. En revanche, il n’a pas été décrit de réaction croisée avec la caroube (Césalpinidée). Un individu ayant une AA à l’arachide a un risque de 5 % d’être allergique aux pois, aux lentilles ou aux haricots. Ce risque serait plus important pour le lupin (jusqu’à 50 %). Avec les fruits secs à coque (noisette, noix, noix exotiques) : le risque est évalué à 37 %. Le dosage des IgG4 spécifiques des aliments n’a strictement aucun intérêt pour le diagnostic d’AA (8). UNE STRATÉGIE THÉRAPEUTIQUE GRADUÉE Stade 1 Conjonctivite, rhinite, SAO, urticaire généralisée simple, œdème des lèvres et/ou du visage sans symptômes de gêne respiratoire) : antihistaminique H1 de dernière génération par voie orale ± corticoïde par voie orale pendant 2 à 5 jours. Stade 2 Bronchospasme aigu (toux, sifflements, chute du DEP (15 % ou plus des valeurs attendues ou connues) : bêta2-stimulant d’action rapide utilisant un système d’inhalation adapté à l’âge de l’enfant : 2 bouffées de spray (ou 1 dose de poudre) renouvelables 3 fois, à 10 minutes d’intervalle, puis poursuivies 4 à 6 fois par jour pendant 2 jours. Stade 3 Œdème laryngé (avec signes d’asphyxie), anaphylaxie (symptômes d’atteinte de plusieurs organes, incluant des symptômes respiratoires) et choc anaphylactique (malaise, agitation, perte de connaissance, collapsus) : adrénaline IM, injection dans la face antéro-latérale de la cuisse, à la dose de 0,01 mg /kg (0,15 mg avant 20 kg et 0,30 mg au-delà de 20 kg), à renouveler si besoin au bout de 15 à 30 minutes. Appel d’un médecin, si possible le SAMU : le 15 (téléphone fixe) ou 112 (portable) et hospitalisation secondaire obligatoire (au moins 24 heures). Plusieurs dispositifs sont disponibles et dénommés « Stylos auto-injecteurs d’adrénaline » d. Cas particulier d’un patient dont l’AA à l’arachide est connue : la trousse d’urgence doit comporter plusieurs dispositifs (2 ou même 3) En effet, dans une situation d’urgence, la première injection peut-être mal effectuée. Dans l’attente des secours, l’état du patient peut s’aggraver, nécessitant une autre injection d’adrénaline e. Il est reconnu que l’adrénaline est sous-utilisée, y compris par les urgentistes (11). UNE PRÉVENTION INDIVIDUELLE ET GLOBALE Il y a environ une quinzaine d’années, il était recommandé à une personne atteinte d’AA d’éviter le (ou les aliments) mis en cause : ce fut le cas pour les allergiques à l’arachide. Il fut aussi préconisé aux femmes de s’abstenir de consommer des cacahuètes pendant la grossesse et l’allaitement : ces mesures sont inefficaces et ont été depuis longtemps abandonnées. Puis les allergologues se sont aperçus que les aliments, même réputés les plus allergisants, devaient être consommés au cours d’une « fenêtre d’opportunité » comprise entre 4 et 6 mois, ce qui permettait aux nourrissons d’acquérir une tolérance à ces aliments. Cette recommandation était totalement
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