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Prise en charge à distance d’une anaphylaxie
Guillaume POUESSEL, service de pédiatrie, Pavillon médicochirurgical de pédiatrie, Roubaix ; Unité de pneumologie et allergologie pédiatriques, Hôpital Jeanne de Flandre, CHRU de Lille et Université Lille 2 ; Univ Lille, ULR 2694 : METRICS, Lille

L’anaphylaxie, hypersensibilité systémique immédiate et potentiellement grave, est devenue un réel problème de santé publique dans de nombreux pays. En Europe, son incidence est estimée de 1,5 à 7,9 cas pour 105 personnes par an et sa prévalence à 0,3 % (IC95% : 0,1-0,5)(1). L’anaphylaxie est de plus en plus fréquente, notamment chez le jeune enfant et pour les causes alimentaires. Les formes graves, létales ou prélétales, restent rares avec un taux de mortalité stable et inférieur à 1 cas par million d’habitants.
Après une anaphylaxie, ou une réaction supposée être une anaphylaxie, il est nécessaire que l’allergologue puisse rencontrer le patient pour confirmer le diagnostic, identifier le(s) allergène(s) impliqué(s), estimer le risque, proposer une stratégie personnalisée de traitement avec des mesures de prévention et prescrire une trousse d’urgence. Enfin, il existe de nombreux défis à relever pour améliorer nos connaissances et optimiser les soins dans ce domaine. En ce sens, il appartient aux médecins de participer aux différentes initiatives françaises en matière de recherche clinique sur l’anaphylaxie. CONFIRMER LE DIAGNOSTIC D’ANAPHYLAXIE Le diagnostic d’anaphylaxie est clinique Après une anaphylaxie ou une réaction supposée être une anaphylaxie, un avis allergologique s’impose. L’allergologue doit alors confirmer ou non le diagnostic de l’anaphylaxie. Pour cela, l’entretien avec le patient et les informations recueillies lors de la réaction anaphylactique elle-même sont primordiaux. L’allergologue doit, dans l’idéal, avoir accès à une fiche médicale rédigée lors de la réaction détaillant : – les antécédents du patient, allergiques (asthme, rhinite allergique, allergie alimentaire ou médicamenteuse…) ou non (cardiopathie, grossesse, mastocytose…) ; – les traitements médicamenteux utilisés avant la réaction (antiinflammatoires, antisécrétoires, bêtabloquants, inhibiteurs de l’enzyme de conversion…) ; – les circonstances de survenue de la réaction : contexte, lieu, horaire, modalités de l’exposition allergénique, contenu du repas (aliments, cuisson, quantité, lecture des étiquettes…) ou du (des) médicament(s) (nom, posologie…), voie d’exposition, chronologie la plus précise possible, description des signes et symptômes et de leur évolution… ; – les traitements reçus après les premiers signes de la réaction et les modalités de surveillance ; – le ou les allergènes suspectés. Dans le cas d’une suspicion d’hypersensibilité péri-opératoire, la fiche d’anesthésie per-opératoire est indispensable afin d’identifier précisément la chronologie des traitements et les signes de la réaction. De nombreux diagnostics différentiels peuvent être envisagés devant une situation compatible avec une anaphylaxie (2). Un dosage de la tryptase sérique a-t-il été réalisé lors de l’anaphylaxie ? Les recommandations prévoient le dosage de la tryptase sérique dans le contexte d’une anaphylaxie, avérée ou suspectée. Au moins, deux dosages doivent être réalisés. La valeur en pic (30 minutes à 2 heures après le début des premiers symptômes) doit être comparée à la valeur de base (plus de 24 heures après la réaction) pour affirmer une dégranulation mastocytaire en faveur d’une anaphylaxie dans un contexte spécifique. Il est indispensable de connaître le délai de réalisation de ces prélèvements par rapport aux premiers signes cliniques pour les interpréter de manière adaptée. Il convient aussi de savoir si d’autres marqueurs biologiques (histamine par exemple) ont été dosés et, le cas échéant, de récupérer les résultats. IDENTIFIER L’ALLERGÈNE ET ESTIMER LE RISQUE Identifier l’allergène en cause et d’éventuelles sensibilisations/allergies croisées Les aliments sont les allergènes impliqués principalement dans l’anaphylaxie chez l’enfant (notamment laits, œuf, arachide, noix de cajou et pistache) alors que les venins d’hyménoptère et les médicaments (antibiotiques, antiinflammatoires non stéroïdiens) sont surtout impliqués chez l’adulte. Identifier le(s) allergène(s) est indispensable, permettant de rassurer le patient, d’identifier des réactivités croisées éventuelles (en matière d’aliments ou de médicaments), d’estimer le risque de réaction sévère et/ou de récurrence, de proposer une éviction la plus ciblée possible, et de définir une stratégie de traitement personnalisée. Outre un entretien minutieux et la lecture des fiches médicales des urgences, l’allergologue peut s’aider de la lecture des étiquettes d’aliments ou de produits consommés, de sites internet détaillant la composition de produits industriels (comme https://www.allergobox.com/), éventuellement d’une diététicienne nutritionniste spécialisée en allergologie. L’allergologue réalise habituellement des examens complémentaires pour étayer sa démarche selon le contexte : tests cutanés (prick-tests, tests épicutanés, intradermoréactions), dosages biologiques (IgE spécifiques, recombinants principalement, puces multi-allergéniques ALEX ou ISAC par exemple) voire test de provocation en cas de doute diagnostic. Le diagnostic du(des) allergène(s) est parfois difficile et peut requérir un avis au sein de réunions de concertation pluridisciplinaire en allergologie qui se mettent en place dans différents centres ou la consultation de sites spécialisés en allergologie (comme AllerData.com). Estimer le risque de réaction sévère et de récurrence allergique Estimer le risque de nouvelle réaction sévère ou de récurrence nécessite de prendre en compte le contexte, les antécédents du patient, les allergènes incriminés. Ainsi, en matière d’allergie alimentaire, il est indispensable d’estimer le risque selon certaines caractéristiques de l’aliment : familles botanique et moléculaire (PR-10, LTP, GRP, profilines…), seuil de réactivité, voie de déclenchement de la réaction, caractère ubiquitaire de l’allergène, allergène à déclaration obligatoire dans le règlement INCO ou non… Il faut également tenir compte d’éventuels cofacteurs (effort, asthme non contrôlé, désordres mastocytaires, consommation alimentaire à jeun, prise médicamenteuse concomitante, infection virale…), l’utilisation de médicaments au long cours. Il est important d’expliquer au patient et à son entourage ces cofacteurs et la nécessité de respecter certaines précautions, dépendant du contexte et des allergènes. Ainsi, en cas d’allergie alimentaire dans le cadre d’un syndrome d’allergie pollens-aliments (comme pour le bouleau et la pêche), il convient d’éviter une consommation en grande quantité de fruits crus ou en smoothie, à jeun, dans les 2 heures suivant un effort intense, lors d’une infection virale ou une exacerbation d’asthme, ou en cas de prise concomitante de médicaments à risque (comme les anti-inflammatoires non stéroïdiens). PRESCRIRE LA TROUSSE D’URGENCE ET ENGAGER UN SUIVI PLURIDISCIPLINAIRE Les auto-injecteurs d’adrénaline dans la trousse d’urgence une anaphylaxie, tous les patients devraient avoir une prescription d’auto-injecteurs d’adrénaline (AIA), en dehors de la situation d’une anaphylaxie médicamenteuse où l’indication doit être discutée au cas par cas (tableau 1) (3). Il convient alors de prescrire un kit de deux AIA par trousse d’urgence, en respectant la posologie recommandée selon le poids de l’enfant (tableau 2) (4). En France, trois auto-injecteurs d’adrénaline (AIA) sont actuellement commercialisés : Anapen ® 0,15/0,30/0,50 mg, Jext ® 0,15/0,3 mg, Epipen ® 0,15/0,30 mg (figure 1). Il existe des différences entre chaque AIA : longueur et diamètre de l’aiguille, système de propulsion et d’activation, contenant pour l’adrénaline (ampoule/cartouche), contenu en adrénaline (0,15-0,30 et 0,50 mg), modalités de fonctionnement et aspects ergonomiques, protection de l’aiguille après utilisation ou non. Les données pharmacocinétiques et pharmacodynamiques concernant l’utilisation des AIA chez le volontaire sain ou dans l’anaphylaxie sont actuellement insuffisantes et ne permettent pas de recommander l’un ou l’autre des AIA, malgré des particularités. Figure 1. Protocole de soins d’urgence en cas d’allergie alimentaire. Les autres médicaments de la trousse d’urgence Les antihistaminiques par voie orale ne sont pas le traitement de l’anaphylaxie. Ils permettent seulement de traiter les signes cutanéo-muqueux de la réaction allergique. Les antihistaminiques H1 de deuxième génération sont habituellement utilisés dans cette indication. Les corticoïdes par voie orale (ou même par voie intra-veineuse) n’ont pas fait la preuve de leur efficacité pour réduire le risque de complication (gravité de la réaction, fréquence des réactions biphasiques), ils ne seront donc pas prescrits dans la trousse d’urgence. Le bronchospasme est une des manifestations les plus fréquemment identifiées dans les cas d’anaphylaxie alimentaire grave chez l’enfant. Ces données justifient la prescription de bronchodilatateurs béta2-adrénergiques inhalés de courte durée d’action chez les enfants à haut risque d’anaphylaxie (aérosol doseur et chambre d’inhalation ou système auto-déclenché ou poudre). Accompagner la prescription des auto-injecteurs d’adrénaline par une éducation thérapeutique Une conduite à tenir d’urgence en cas de réaction allergique, claire et personnalisable, doit être jointe (figure 2). Elle a été actualisée et harmonisée sur le plan national par la Société française d’allergologie (5). En cas d’anaphylaxie, l’injection sera réalisée sur la face antéro-externe à la partie moyenne de la cuisse (et non dans le deltoïde ou la fesse). Une deuxième injection avec un autre AIA, à la même posologie, sur la cuisse opposée, peut être nécessaire 5 à 10 minutes après la première injection en cas de persistance ou d’aggravation des symptômes. Environ 10 % des anaphylaxies traitées nécessitent plus d’une injection d’adrénaline. L’AIA est à usage unique. Figure 2. Fiche spécifique no 2 « Conduite à tenir d’urgence », disponible sur le site de l’Éducation nationale Eduscol, https://eduscol. education.fr/document/7754/download ; vérifié le 12 juin 2024). La prescription d’un AIA doit être accompagnée d’une démonstration de son utilisation avec un dispositif factice (sans aiguille ni médicament) de la marque prescrite. Le patient, ou l’enfant et ses parents doivent également manipuler le dispositif factice. Cette démonstration sera revue à chaque consultation de suivi. Des conseils au patient doivent dans l’idéal accompagner la prescription de ces AIA (encadré). Le médecin peut se procurer les dispositifs de démonstration sur simple demande sur les
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