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Profession, Société

Publié le  Lecture 29 mins

L’impact de la loi Bertrand pour les acteurs du monde de la santé

L. LE CALVÉ*, Avocat au Barreau de Paris, cabinet Beslay-Le Calvé * Laure LE CALVÉ est spécialisée en droit de la santé, et intervient régulièrement sur les questions liées aux relations industrie-professionnels de santé, ainsi que sur la réglementation
En réponse à l’affaire du Médiator, la loi dite « loi Bertrand »du 29 décembre 2011 vise à renforcer « la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé »
Les travaux préparatoires à cette réforme (rapport de l’IGAS(1), des Assises du médicament, etc.) avaient souligné la nécessité « d’améliorer la gouvernance, la transparence et l’indépendance de notre système de sécurité sanitaire ainsi que la coordination de ses acteurs, de consolider un dispositif de pharmacovigilance autrefois jugé comme l’un des plus performants en Europe, de mieux former et informer les professionnels de santé, de réévaluer régulièrement la balance des bénéfices et des risques de l’ensemble de la pharmacopée, de mieux identifier les responsabilités des entreprises, des professionnels de santé et du politique, et, enfin et surtout, de remettre les patients au cœur du système »(2). Le sujet est vaste. Deux points retiendront notre attention ici, car ils impactent directement les relations professionnels de santé et industriels : la transparence et les modifications de la loi anticadeaux(3). La transparence La déclaration des liens d’intérêts à la charge des professionnels de santé Les instances, organismes, commissions et autres administrations sanitaires, telles la HAS, l’ANSM (ex Afssaps) ou encore les ARS, peuvent faire appel à des professionnels de santé, pour leurs qualités, leurs compétences, leurs connaissances, à titre « d’experts externes ». Comme le note le rapporteur de la loi Bertrand, « l’expertise externe se justifie par la nécessité de trouver les meilleurs spécialistes disponibles, riches de leur connaissance du milieu hospitalier, des laboratoires de recherche privés ou publics ou de l’université. Il serait dommageable de se priver de leurs compétences »(4). Des dispositions légales encadraient, déjà avant la loi Bertrand, la gestion des conflits ou liens d’intérêts entre expert externe (tel qu’un professionnel de santé) et les industriels du monde de la santé. Face à l'affaire du Médiator, le législateur a toutefois cherché à renforcer les mesures permettant d’améliorer la transparence des décisions, par l’obligation, pour tout expert externe de déclarer et d’actualiser régulièrement ses liens d’intérêts, dans le souci de restaurer la confiance des patients « dans les conclusions des rapports remis à l’administration ou encore dans les recommandations qui lui sont faites ou qui sont faites aux professionnels de santé par les experts externe ou interne auxquels elle s’en remet »(5). La volonté affichée du législateur était également de mettre un terme à une tendance récente de remise en cause judiciaire de décisions prises par les instances sanitaires sur le fondement du non-respect des règles de gestion des conflits d’intérêt. À titre d’exemple, l’Association pour une formation médicale indépendante (Formindep) avait obtenu en justice l’abrogation de la recommandation professionnelle émise par la HAS relative au traitement médicamenteux du diabète de type 2 en raison de la présence au sein du groupe de travail chargé de sa rédaction, d’experts médicaux qui entretenaient avec des entreprises pharmaceutiques des liens de nature à caractériser des situations prohibées de conflit d’intérêt(6). Forte de ces considérations, la Loi Bertrand impose à présent aux membres des diverses commissions et conseils siégeant auprès des ministres chargés de la Santé et de la sécurité sociale(7) de déclarer les liens d'intérêts de « toute nature, directs ou par personne interposée », qu’ils ont, ou qu'ils ont eus pendant les cinq années précédant leur prise de fonctions, avec des entreprises, des établissements ou des organismes dont les activités, les techniques et les produits entrent dans le champ de compétence de l'autorité sanitaire au sein de laquelle ils exercent ces fonctions ou de l'organe consultatif dont ils sont membres ainsi qu'avec les sociétés ou organismes de conseil intervenant dans les mêmes secteurs. La notion de lien d’intérêts est donc extrêmement large puisqu’elle englobe même les liens indirects, et qui plus est même les liens d’ordre familial : votre conjoint est salarié d’un laboratoire pharmaceutique ? Vous devrez déclarer ce lien « par personne interposée » si vous êtes nommé en qualité d’expert auprès d’une des instances françaises dans le domaine de la santé. Enfin, conscient du fait que dans certaines hypothèses il sera impossible aux instances de travailler avec des experts dignes de ce nom, sans aucun lien d’intérêt (et pour cause, le fait de travailler avec les industriels participe de leur compétence), le législateur a prévu qu’une « charte de l’expertise sanitaire » précisera (notamment) « les modalités de gestion d’éventuels conflits et les cas exceptionnels dans lesquels il pourra tout de même être tenu compte des travaux réalisés par des experts présentant un conflit d’intérêts » … Faute de grives… Le décret du 10 mai 2012 relatif à la déclaration publique d’intérêts et à la transparence en matière de santé publique et de sécurité sanitaire précise les conditions d’application, le modèle et le contenu de la déclaration d’intérêts, les conditions dans lesquelles elle est rendue publique ainsi que ses modalités de dépôt, d’actualisation et de conservation. Parmi les informations devant figurer sur la déclaration, se trouvent : • les activités principales et accessoires, rémunérées ou non, exercées au cours des cinq années précédentes dans des sociétés, établissements, organismes et associations dont les activités, les techniques ou les produits entrent dans le champ de compétence en matière de santé publique et de sécurité sanitaire de l’administration ; • les activités exercées auprès de sociétés ou organismes de conseil intervenant dans les mêmes secteurs ; • l’exercice d’une activité de consultant, de conseil ou d’expertise, les travaux scientifiques et études pour des organismes publics ou privés ; • la rédaction d’articles et les interventions, rémunérées ou prises en charge dans des congrès, des conférences, des colloques, des réunions publiques ou des formations organisées ou soutenues financièrement par des entreprises privées ; • la détention ou l’invention d’un brevet ou l’invention d’un produit, procédé ou toute autre forme de propriété intellectuelle non brevetée, les rémunérations perçues soit à titre personnel, soit par un organisme dont il est membre ou salarié ; • les participations financières directes, sous forme d’actions ou d’obligations détenues et gérées directement ou de capitaux propres, dans le capital d’une société. S’agissant des liens « familiaux », le déclarant devra indiquer « s’il sont connus » de lui, toute activité exercée ou dirigée au moment de la déclaration ou au cours des cinq années précédentes par ses parents et enfants, son conjoint, concubin ou partenaire lié par un PACS ou par les parents et enfants de ce dernier ainsi que toute participation supérieure à un montant de 5 000 euros ou à 5 % du capital détenu par les mêmes personnes. Les informations relatives aux liens familiaux ne seront pas rendues publiques… contrairement aux autres. La publicité des déclarations est ainsi assurée pendant la durée des fonctions ou la mission de la personne concernée et durant les cinq années suivant leurs fins sur un site internet unique (dont nous attendons de connaître les conditions de fonctionnement devant être fixées par arrêté). • Quelles conséquences pour les déclarants ? Les professionnels de santé nommés en qualité d’expert auprès des instances concernées par ces nouvelles dispositions ne pourront prendre part aux travaux, aux délibérations et aux votes des instances au sein desquelles ils siègent qu’une fois la déclaration souscrite ou actualisée. Ils ne pourront pas non plus, sous peine de sanctions pénales(8), prendre part aux travaux, aux délibérations, aux votes de ces instances s’ils ont un intérêt, direct ou indirect, à l’affaire examinée. « La publicité des déclarations est assurée pendant la durée des fonctions ou missions de la personne concernée et durant les 5 années suivant leurs fins sur un site internet unique » La publicité des conventions et avantages à la charge des industriels de santé Aux États-Unis, dans le cadre de la réforme Obama, le Physician Payments Sunshine Act signé le 22 mars 2010, fait obligation aux fabricants de médicaments et de dispositifs ou de matériels médicaux ou biologiques de déclarer toute transaction en nature ou monétaire, tout avantage en nature ou en espèce, consenti à un médecin prescripteur ou à un centre hospitalier universitaire. Sont visés dans la loi américaine, les avantages en nature, la rémunération d’interventions dans des formations ou congrès, les honoraires de consultants, les royalties versées au titre de brevet, la rémunération de projets de recherche, les parts versées dans le capital d’une société détenue par des médecins, les paiements ou transferts effectués dans le cadre d’une convention de recherche ou de développement de produits (dans un délai de 4 années après la date à laquelle ils ont été réalisés). Dans le Physician Payments Sunshine Act, tous les « avantages » d’une valeur équivalente à au moins 10 dollars doivent être déclarés. Ce qui est inférieur à 10 dollars ne doit donc pas être déclaré, à la condition toutefois que le cumul des versements ne dépasse pas 100 dollars par an. Il faut savoir qu’en pratique sont considérés comme avantage en nature, une invitation à déjeuner ou à un dîner ou la remise d’un ouvrage scientifique. L’ensemble de ces informations, contrats et avantages sera accessible au public, via un site Internet. Le dispositif est sanctionné pénalement pour les industriels. C’est sur la base de ce modèle américain que la loi française a été pensée et conçue, mais elle va bien au-delà. Le nouvel article 1453-1 du Code de la Santé publique (CSP) prévoit ainsi que les entreprises produisant ou commercialisant des produits, relevant du champ de compétence de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM qui remplace l’Afssaps), ou assurant des prestations associées à ces produits, ont l’obligation de

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