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La douleur en ORL
J. BERTRAND-DELIGNÉ, S. DONNADIEU, Hôpital européen Georges Pompidou AP-HP, unité de traitement de la douleur, service d’anesthésie-réanimation

La stimulation des voies de la douleur de la région oro-cervico-faciale donne une symptomatologie riche qui amène les patients à consulter précocement le médecin ORL. Il s’agit donc souvent d’un contexte de douleur aiguë, une douleur chronique étant une douleur qui persiste au moins depuis 2 mois. La densité des tissus que traversent ces neurones nociceptifs rend compte de la fréquence des douleurs dans les affections ORL. Du fait de leur localisation particulière, elles génèrent vite anxiété et désarroi, tant elles altèrent rapidement la vie de relation. La crainte de la découverte d’un cancer vient renforcer cette réaction émotionnelle.
Le clinicien ORL sera donc souvent confronté, dans son exercice quotidien, à une symptomatologie algique des régions otologique, rhinologique, sinusienne, faciale, buccale, pharyngée et laryngée. L’innervation sensitive de ces régions est essentiellement assurée par le nerf trijumeau (V) dans ses trois branches, mais aussi par les afférences somatiques du nerf facial (VII), par le nerf grand hypoglosse (IX), par certaines afférences du nerf pneumogastrique (X) avec la zone de Ramsay-Hunt et le nerf laryngé supérieur, et enfin par le plexus cervical superficiel (C2-C3-C4). Schématiquement, l’atteinte du système sensitif peut se faire selon trois mécanismes, générateurs de sensations douloureuses différentes, et faisant appel à des ressources thérapeutiques différentes. En clinique, cette modélisation didactique est rarement retrouvée dans sa pureté, car les mécanismes en cause sont intriqués entre eux, et pour obtenir de bonnes réponses thérapeutiques, des traitements combinés sont nécessaires. La réponse émotionnelle vient apporter sa part dans la complexité de l’expression symptomatique et dans la variabilité des réponses thérapeutiques. Les trois mécanismes fondamentaux de stimulation des voies sensitives sont les suivants : Les excès de stimulation nociceptive, « allumant » ainsi les différents récepteurs nociceptifs périphériques ou centraux, ce qui génère des influx dans les voies de la douleur. Par exemple, la compression ou la destruction des tissus avoisinants par un volume tissulaire en expansion, entraîne des douleurs par « effet de masse ». Leur expression clinique en est une sensation de compression, d’éclatement, de broiement, de déchirement. Ces douleurs sont sensibles aux traitements antalgiques purs des paliers I, II ou III de l’échelle OMS. Les lésions du neurone sensitif, par compression, étirement, section, démyélinisation donnent un tableau de déafférentation. Il se traduit par des sensations de brûlures intenses dans le territoire somesthésique considéré, et/ou des douleurs en éclair survenant spontanément. Le déclenchement de douleurs en éclair par la compression loco dolenti évoque plutôt l’existence d’un névrome d’amputation. Le traitement des douleurs neuropathiques par déafférentation fait appel aux antidépresseurs tricycliques pour les sensations de brûlures, et aux antiépileptiques pour les sensations de décharges électriques paroxystiques. Quant aux névromes d’amputation, les infiltrations et les techniques chirurgicales d’enfouissement permettent de neutraliser les zones gâchettes. Leur prévention se fait au mieux par des massages proprioceptifs (massages appuyés, palpé-roulé) qui dirigent la repousse neuronale en évitant la formation de névromes. L’inflammation neurogène est une réaction neurochimique qui se produit lors de la stimulation d’un nerf sensitif. Celle-ci libère de la substance P et de l’histamine qui stimulent les nocicepteurs. Cette réaction s’étend de proche en proche, provoquant ainsi une compression tissulaire par effet de masse. Son traitement fait appel aux stabilisants de membrane, aux anti-inflammatoires, et dans certains cas aux anti-infectieux. Quant à l’expression émotionnelle, elle nécessite écoute, explications, réassurance. Lorsque la douleur devient chronique, il est souvent nécessaire de faire appel à des psychothérapies diverses et de prescrire des traitements anxiolytiques et antidépresseurs. Sous l’éclairage de cette physiopathologie, la symptomatologie douloureuse en ORL peut se réécrire de façon originale. Il ne sera pas question, dans les lignes qui suivent, de faire une revue exhaustive et fastidieuse des différents tableaux cliniques possibles. Nous n’aborderons que les cas les plus illustratifs. Les douleurs de l’oreille Otite moyenne aiguë. L’otite infectieuse : la présence de liquide sous pression provoque une douleur par excès de nociception du IX qui innerve l’orifice de la trompe d’Eustache, et des afférences du VII qui innervent la trompe d’Eustache, l’oreille moyenne et l’oreille interne. L’infection provoque une inflammation qui aggrave cet excès de nociception. Les douleurs seront donc latéro-pharyngées à type de déchirement et de compression, ainsi que des douleurs aiguës de l’intérieur de l’oreille. L’utilisation combinée d’antalgiques purs et d’anti-infectieux sera nécessaire. La suppression de l’effet de masse par drainage soulagera également la douleur. L’otite post-radique : la symptomatologie de la douleur sera la même. Un syndrome de déafférentation des nerfssensitifs lésés par l’irradiation pourra s’y associer. L’adjonction d’antiépileptiques neutralisera les douleurs aiguës paroxystiques de l’oreille. L’existence associée d’une tumeur pharyngée peut provoquer un excès de nociception ou une déafférentation du IX, donnant cliniquement une sensation de corps étranger et de compression latéro-pharyngée, ou une sensation de brûlure avec accès douloureux aigus paroxystiques à la déglutition ou à la phonation. La topographie particulière du plexus cervical superficiel qui assure l’innervation sensitive du tiers inférieur du pavillon de l’oreille, de l’angle de la mandibule, de la région rétro-auriculaire du pavillon de l’oreille et de la face latérale du cou, peut, lorsqu’il est stimulé par une tumeur cervicale ou lésé par une intervention chirurgicale ou une irradiation de la région, donner un tableau douloureux trompeur péri-otologique. Des douleurs paroxystiques en éclair dans le territoire décrit peuvent faire croire à une otite. L’examen du tympan est normal, et le traitement antiépileptique supprimera les douleurs. Les massages proprioceptifs de la cicatrice cervicale traiteront les douleurs de zone gâchette en prévenant la constitution de névromes d’amputation. Les douleurs du nez et des sinus Sinusite aiguë. La perforation du sinus septal donne des douleurs neuropathiques des deuxièmes branches droite et gauche du nerf trijumeau, dont le traitement sera essentiellement antiépileptique. Une inflammation neurogène et infectieuse peut coexister, donnant des douleurs par excès de nociception des fosses nasales, qui peuvent irradier vers le front et les orbites, les joues et la mâchoire supérieure, pouvant faire croire à une pathologie dentaire associée. Les antalgiques des paliers OMS, les soins locaux de nettoyage et de drainage sont la base du traitement antalgique. S’il s’agit d’un contexte de toxicomanie, la réponse émotionnelle vient considérablement amplifier le tableau douloureux et rend le résultat thérapeutique plus incertain. L’infection des sinus ethmoïdaux ou frontaux provoque un excès de nociception du nerf trijumeau au niveau de sa première et deuxième branche. Les douleurs sont parfois bilatérales et irradiées. Elles peuvent faire croire à une migraine ou une céphalée de tension. Les antalgiques purs et le traitement antiinfectieux soulageront le patient. L’existence d’un processus tumoral dans un sinus est responsable de douleurs par excès de nociception, mais aussi de douleurs neuropathiques unilatérales de la première branche du nerf trijumeau dans les atteintes ethmoïdales, et de la deuxième branche de ce même nerf dans les atteintes maxillaires. Une surinfection ou une épistaxis peuvent accompagner le tableau douloureux. Les céphalées Nous n’aborderons ici que les céphalées primitives, ce qui nécessite bien sûr d’éliminer préalablement les algies otologiques et sinusiennes évoquées précédemment, ainsi que les affections neurologiques centrales, et de façon plus générale toute étiologie responsable de céphalées secondaires. Les migraines s’expriment majoritairement par des douleurs fronto-temporales, parfois rétro-orbitaires. La douleur s’installe progressivement en 2 à 4 heures. Elle est unilatérale au début, mais peut rapidement diffuser. Elle peut durer jusqu’à 72 heures. Elle est pulsatile, associée à des nausées ou des vomissements, des photo- ou phonophobies. La céphalée est aggravée par les mouvements et la toux. Un traitement d’épreuve par les triptans confirmera le diagnostic s’il soulage la douleur, bien que des céphalées symptomatiques puissent parfois être soulagées par cette classe thérapeutique. Les céphalées de tension sont très fréquentes. Elles s’associent parfois aux migraines. Il s’agit de douleurs diffuses, bilatérales, à type de compression et de serrement en casque, non pulsatiles. Ces céphalées peuvent persister pendant 7 jours. Il n’y a ni nausées ni vomissements, ni aggravation des douleurs par l’activité physique de routine. Un contexte de stress mal géré, d’anxiété ou de dépression est souvent associé à ce tableau. Les stomatodynies Il s’agit de douleurs neuropathiques de la cavité buccale, évoluant sur un mode chronique. C’est le nerf trijumeau (V) dans sa troisième branche qui dysfonctionne, sans étiologie retrouvée. Les stomatodynies sont plus souvent retrouvées chez des femmes après la ménopause. Un contexte anxiodépressif est très fréquemment associé. Ces douleurs s’expriment sous forme de brûlures et de sécheresse de la langue, avec perturbations gustatives. Elles peuvent s’étendre à toute la cavité buccale. Des dyesthésies ou des douleurs aiguës et paroxystiques de la gencive au niveau de la mandibule peuvent faire croire à une affection dentaire. Le retentissement émotionnel est très important. Le traitement associe des antidépresseurs, des antiépileptiques en cas d’accès douloureux paroxystiques et une prise en charge psychothérapique. Les douleurs du pharynx Le grand hypoglosse (IX) assure l’innervation sensitive du tiers postérieur de la langue, de l’amygdale et de ses piliers, du voile du palais et de la paroi pharyngée postérieure. Au cours des pathologies infectieuses, le mécanisme de la douleur est essentiellement celui d’un excès de nociception. Au cours des pathologies tumorales, il peut s’y associer des douleurs par déafférentation. En cas d’atteinte de l’orifice de la trompe d’Eustache, une douleur aiguë paroxystique peut faire croire à une otite. Les douleurs
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