



Publié le
Lecture 14 mins
La gestion du bruit chez le personnel navigant
M. BALLESTER, Médecin agréé par la Direction générale de l’aviation civile

Les types de bruit en aéronautique Les lésions de l’appareil auditif dues aux bruits entrent dans le cadre des otopathies pressionnelles traumatiques : otopathies dysbariques, blast auriculaire (ondes de choc fortes), traumatismes sonores aigus (bruits transitoires par ondes de choc faibles), surdité professionnelle dont la surdité de l’aviateur est une forme particulière (bruits continus ou mixtes par ondes de choc faibles). Les bruits impulsionnels ou transitoires ont une durée inférieure à la seconde. Les bruits continus sont des impulsions de pression acoustique de durée supérieure à une seconde. Les bruits mixtes associent bruits continus et impulsionnels : ce sont les plus fréquents en aéronautique (figure 1). Ceux que l'on rencontre dans les aéronefs peuvent atteindre des niveaux très élevés (110 à 120 dB) pendant des durées d'exposition importantes. Ils entraînent un effet de masque perturbant la perception des signaux et la communication parlée, une fatigue auditive et, dans certains cas, une perte auditive. Les bruits transitoires brefs résultent souvent de l’utilisation des armes dans l’aéronautique militaire. Les lésions qu’ils occasionnent relèvent du traumatisme sonore aigu ou du blast. Globalement, les niveaux de bruit en vol peuvent atteindre des niveaux très élevés (tableau). À proximité des avions ou des hélicoptères (mode parking ou taxi), les bruits auxquels est soumis le personnel navigant ou celui chargé de la mise en oeuvre des aéronefs sont encore plus élevés : Super-Frelon (figure 2) : 104 dB à 15 mètres, Airbus A300 : 96 dB à 450 m – 102 dB à l’approche… Les bruits aérodynamiques contribuent aussi au bruit total mais ils n’ont pas fait l’objet d’études précises. En revanche, les bruits de radiocommunication ont fait l’objet de travaux chez les pilotes d’hélicoptère : leur part dans la surdité du personnel navigant est faible. Enfin, il faut évoquer la surdité baro-traumato-sonore de l’aviateur : aux effets du bruit s’ajoutent les microbarotraumatismes à répétition du fait des changements fréquents, parfois rapides, d’altitude dans certains modes de pilotage. Figure 1. Les bruits auxquels sont exposés les navigants sont variés. Ici, bruits émis par le Fennec, turbulences portes ouvertes, bruits d’armes (photos MB). La susceptibilité individuelle joue un grand rôle : la presbyacousie et toutes les surdités neurosensorielles sont des facteurs de fragilité. Chez les membres du personnel navigant, la durée d’exposition aux bruits continus joue un rôle crucial. Le nombre d’heures de vol reflète cette exposition, de façon souvent indirecte, puisque c’est davantage le temps passé à proximité de l’aéronef qu’à l’intérieur qui est déterminant. Tableau. Bruits au poste de pilotage et en cabine. Typed’avion/hélicoptère Poste de pilotage (dB) Cabine de passagers (dB) Fokker 71 71 à 73 (à l’arrière) DC 10 71 72 à 78 dB (à l’arrière) Transall 92 à 98 90 à 104 dB Mirage 103 Alphajet 103 Puma 99 105 dB (ou soute) Alouette III 97 à 102 ULM 110 L’intensité est le second paramètre, avec une cote de danger à 85dB. Les bruits impulsifs surajoutés sont un facteur aggravant. Certains moteurs sont plus nocifs du fait du spectre de bruit émis, les sons purs et les fréquences aiguës étant plus dangereux que les sons complexes et les fréquences graves. Figure 2. Le bruit intense émis par les hélicoptères (Puma et Alouette III) nécessite la protection des pilotes et des personnels mettant en oeuvre les aéronefs ou en exercice. Ici à bord du portehélicoptères Jeanne-d’Arc (photos MB). Ainsi, les turbines des Alouette II ou les réacteurs des CM 170 comportent un spectre riche en fréquences aiguës. L’étude des postes de travail montre que le risque à bord d’un avion est plus important à certains postes: les niveaux de bruit sont plus importants dans la soute (susceptible de transporter des passagers) d’un avion ou d’un hélicoptère que dans la cabine de pilotage (figure 3). Figure 3. Le bruit intense régnant dans la soute d’un Transall transportant des passagers rend impératif le port de protections auditives type casque antibruit pendant toute la durée du vol (photo MB). La surdité professionnelle Elle s’installe insidieusement. Initialement, le pilote peut ressentir un stade de fatigue auditive au début de l’exposition au bruit avec baisse de l’audition parfois associée à des acouphènes. Il consulte rarement à ce stade car les signes disparaissent de façon faussement rassurante lors du repos auditif, pour réapparaître lors de la reprise de l’activité. Suit une période de latence, caractérisée par la disparition des signes fonctionnels, pouvant atteindre 20 ans. Puis apparaît une période de gêne sociale et professionnelle, pendant laquelle les acouphènes peuvent réapparaître de façon plus permanente. Enfin, la surdité manifeste est le stade ultime. La surdité de l’aviateur est pratiquement toujours découverte lors de la surveillance systématique périodique des personnels navigants. L’audiogramme tonal retrouve une surdité de type perceptif. L’audiométrie vocale recherche des troubles de l’intelligibilité de la parole. Elle doit être réalisée dans le silence et dans le bruit, attestant de la gêne sociale et professionnelle : elle présente donc un intérêt fondamental au plan de l’aptitude et de l’expertise révisionnelle. Les tests, répondant à des normes précises, s’effectuent en tenant compte d’éventuels facteurs d’atténuation dus aux équipements de tête : écouteurs, coquilles, casques intégraux… Les conséquences professionnelles concernent le potentiel opérationnel des équipages et la sécurité des vols. Surdité et hypoacousie sont d’autant plus gênantes dans le bruit. Une ambiance sonore bruyante entraîne une baisse du potentiel opérationnel des personnels, avec une augmentation du risque d’accident du travail ou d’accident aérien. Les troubles de l’intelligibilité de la parole et de la localisation des sources sonores peuvent avoir des conséquences graves dans des milieux où les processus de communication sont vitaux. Des erreurs d’interprétation de messages verbaux ou de signaux d’alarme sonores peuvent en découler. La surdité d’origine professionnelle ouvre droit à réparation dans le cadre du code des pensions militaires d’invalidité pour les personnels militaires. Pour les civils, la surdité professionnelle, dont celle de l’aviateur, est réparée au titre des tableaux 42 et 46 des affections professionnelles provoquées par les bruits. En fin de carrière aéronautique, dans la classe d’âge de 55 ans, 4 à 5% des pilotes présentent une perte d’audition supérieure au minimum indemnisable. En milieu civil, l’évaluation de l’incidence de la surdité traumato-sonore en milieu aéronautique est difficile en l’absence de statistiques suffisantes. QUELQUES FACTEURS FAVORISANTLES LÉSIONS DE L’OREILLE Niveau de crête du bruit : le seuil de la douleur se situe à 130 dB(A). Spectre du bruit : les fréquences aiguës sont plus nocives que les graves, de même que les sons purs. Si l’intervalle entre 2 détonations est trop court ( 100 ms), le réflexe stapédien n’a pas le temps de se mettre en oeuvre. Répétition des expositions aux bruits impulsifs sans intervalle de repos. Phénomène d’écho. Facteurs extraprofessionnels : pratique du tir, tabagisme, vie citadine. Prévention Figure 4. Le programme européen Silencer vise à abaisser de 10dB les bruits émis par les avions d’ici 2020. Ici, études en soufflerie sur réacteur d’Airbus (photo Snecma). Les études épidémiologiques montrent qu’en prenant une population de référence constituée de contrôleurs militaires de la navigation aérienne, la perte d’audition en valeur médiane pondérée sur 4000Hz dans la classe d’âge 45 ans et pour un niveau de bruit de 95 dB(A), atteint 13 dB(A) dans le groupe témoin, 29dB(A) chez les pilotes de chasse et 45 dB(A) chez les travailleurs de l’industrie aéronautique… Chez des personnels exposés à des niveaux sonores n’excédant pas 85dB(A), une élévation nette des seuils auditifs sur 3, 4 et 6 kHz est observée au-delà de 15 ans d’exposition régulière. Le risque de surdité professionnelle augmente avec l’âge, le vieillissement de l’audition vient ajouter ses effets à ceux de l’exposition sonore. L’effet lésionnel du bruit peut être comparé à un vieillissement accéléré de l’audition. La prévention est donc essentielle et doit se faire d’amont en aval : en amont lors de la sélection des personnels, puis en aval toute la carrière durant. L’instruction des personnels quant aux méfaits du bruit, de l’absence de port des protections auditives, ainsi que le retentissement en termes d’aptitude font aussi partie des actions de prévention. Sélection : lors des visites d’admission des personnels, le médecin recherche un état pathologique antérieur, détermine la valeur fonctionnelle de l’audition et recherche une susceptibilité aux bruits. Par la suite, les examens de suivi comportent périodiquement otoscopie et audiogramme. Les visites révisionnelles, que les personnels soient civils ou militaires, répondent à des normes précises dont les objectifs sont de maintenir le potentiel opérationnel des équipages, d’assurer la sécurité des vols, la sélection en cours de carrière et de dépister l’installation d’une hypoacousie. Instruction : les effets des bruits doivent être expliqués. Les personnels doivent bénéficier d’une instruction sur les moyens de protection individuels, leur utilité et la façon de les porter. Réduction du bruit à la source: elle relève du domaine de l’ingénieur. La plupart des avions de ligne ont des niveaux de bruit inférieurs à la cote d’alerte. Ce n’est pas le cas dans l’aviation de tourisme. Le Conseil pour la recherche aéronautique en Europe à pour objectif de diminuer de 10 dB le bruit des avions à l’horizon 2020. Le programme européen Silencer, débuté en avril 2001, a validé certaines technologies permettant d’ores et déjà de réduire de 5 dB le bruit généré par un avion. Les moteurs pourraient bénéficier de nouveaux compresseurs et de nouvelles
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :
Articles sur le même thème
Pagination
- Page 1
- Page suivante