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Allergènes aéroportés : à propos de trois observations
Paul MOLKHOU, Ancien chargé d’enseignement, université René-Descartes, Paris

Nous rapportons trois observations relatives à des manifestations cliniques liées à des allergènes aéroportés. La première qui concerne une poussée aiguë d’eczéma due à un contact indirect avec un chat chez une petite fille de 5 ans ouvre le chapitre de la responsabilité des pneumo-allergènes dans les poussées de dermatite atopique. Les deux observations suivantes s’intéressent à l’inhalation à des allergènes alimentaires.
Par définition, une dermatose aéroportée, « air born dermatosis » de la littérature anglo-saxonne, est une affection liée à des agents extérieurs transportés par l’air ambiant. Parmi les produits transportés dans l’air, certains sont des gaz et des vapeurs, tandis que d’autres sont des particules solides de nature biologique ou non biologique. Cependant, dans un certain nombre de cas, la symptomatologie résulte en partie d’un contact direct avec l’agent responsable et en partie d’un contact aéroporté et inhalé par la même occasion. Observation n°1 Dans l’observation que nous présentons, le double rôle joué par l’allergène du chat présent par contact indirect, et dans l’air ambiant par inhalation, est une preuve de l’effet de cet allergène dans le déclenchement d’un eczéma chez un enfant prédisposé. Aurélie, 9 ans, consulte, en urgence, pour une poussée aiguë d’eczéma apparu depuis quelques jours, au retour des grandes vacances. Aurélie est une petite fille atopique suivie régulièrement depuis l’âge de 6 mois, date à laquelle nous avions découvert une allergie aux protéines du lait de vache (APLV). Elle est issue d’une famille d’atopiques. Sa mère souffre de pollinose ; le père a présenté, au cours de son enfance, des manifestations respiratoires pouvant évoquer un asthme. À cette époque, le bilan allergologique aussi bien cutané ( prick-tests : positifs au lait de vache, à la bêtalactoglobuline et à la caséine) que biologique (IgE spécifiques élevées pour le lait de vache à 9,36 U/ml, caséine à 1, 28 U/ml, bêta-lactoglobuline à 1,57 U/ml) avait confirmé la sensibilisation IgE dépendante. Cette dermatite atopique avait pratiquement disparu après une éviction de tout produit lacté pendant un an et l’utilisation de produits à base d’amino-acides. La réintroduction prudente d’aliments lactés vers l’âge de 18 mois a été bien tolérée et l’enfant a été régulièrement suivi 3 fois par an jusqu’à l’âge de 4 ans, date à laquelle Aurélie a présenté une première crise d’asthme quelques semaines après l’arrivée d’un chien à la maison. L’enquête allergologique confirme la sensibilisation aux squames de chien : prick-tests cutanés très positifs et IgE spécifiques élevées à 2,50 U/ml. Les autres pneumallergènes courants sont négatifs. L’éviction du chien acceptée immédiatement par les parents est suivie d’une disparition complète des signes respiratoires. Une exploration fonctionnelle respiratoire réalisée vers l’âge de 6 ans est normale ; il n’existe pas de signes d’hyperréactivité bronchique. Aurélie est alors surveillée régulièrement dans le cadre pédiatrique général environ tous les 6 mois et son état cutané reste très satisfaisant. Quelques années plus tard, alors âgée de 9 ans, elle revient en consultation, couverte de lésions eczémateuses suintantes et croûteuses, entraînant un prurit intense. L’enquête alimentaire catégorielle est négative, ne montrant pas de déséquilibre alimentaire, ni d’apport excessif en aliments riches en histamine et/ou histamino-libérateurs. L’interrogatoire des parents ne révèle aucune modification du mode de vie. Depuis l’accident respiratoire lié à la présence d’un chien, aucun animal n’est entré dans la maison. Après nettoyage des lésions, un bilan allergologique cutané explorant les trophallergènes et les pneumallergènes courants ne montre qu’une réaction « explosive » aux poils de chat (papule 10-30 mm avec pseudopodes et net prurit) et une réaction faiblement positive aux poils de chien. Un patch-test au chat, pratiqué dans le dos, avec la solution glycérinée du commerce (laboratoires Stallergènes) est très fortement positif au bout de 48 heures, reproduisant une lésion eczémateuse avec l’apparition de vésicules et d’un prurit intense. En reprenant l’enquête allergologique, on découvre alors que la mère d’Aurélie garde depuis quelques semaines un jeune enfant qui possède un chat à son domicile. Déposé chaque matin par ses parents, cet enfant est installé sur le lit d’Aurélie. Nous avons conseillé aux parents d’Aurélie de procéder à un nettoyage approfondi de la chambre, du matelas, des tapis et des vêtements, pour réduire au maximum l’allergène chat présent dans la maison. Depuis l’éviction du chat et des mesures de nettoyage, Aurélie n’a plus présenté la moindre poussée d’eczéma. Elle continue d’être suivie en consultation spécialisée et ne souffre d’aucune manifestation respiratoire. Commentaires (1-2) Depuis cette observation, de nouvelles données sur les allergènes peuvent nous éclairer à la fois sur la dermatite atopique liée à une allergie aux protéines lactées bovines, l’accident respiratoire à l’arrivée d’un chien et la poussée aiguë d’un eczéma par contact indirect avec un chat. Les rapports qui pourraient exister entre dermatite atopique et aéroallergènes se sont tout d’abord surtout référés aux acariens. Notre observation pourrait parfaitement entrer dans cette éventualité (2). Dans l’observation présente, il s’agit de lésions eczémateuses (dermatite atopique) déclenchées par le contact des poils de chat présents sur les vêtements de l’enfant qui se repose sur le lit d’Aurélie. En 1991, C. Charpin et coll. (3) avaient démontré que la peau du chat est la source principale de l’allergène majeur Feld 1 retrouvé sur les poils et l’épiderme de l’animal. Après biopsie de la peau, Feld 1 apparaissait comme produit par les glandes sébacées et les cellules épithéliales de la couche basale puis stocké à la surface de l’épiderme et dans les poils. L’antigène secrété dans le follicule intradermique est accumulé sur la racine des poils et se répand ensuite progressivement jusqu’au bout de la tige. C’est à partir de là qu’il peut devenir « aéroporté » et provoquer des manifestations allergiques, respiratoires et/ou cutanées. Dès 1993, P.L. Bruijnzeel et coll. (4) avaient montré que le contact avec des pneumallergènes pouvait aussi aggraver les lésions cutanées de la dermatite atopique. En effet, le contact épicutané avec des pneumallergènes peut provoquer des lésions cutanées eczémateuses 24 à 48 heures après leur application chez des patients porteurs d’IgE sériques spécifiques. Ce test ou « atopy patch-test » (APT) prouve que les allergènes peuvent pénétrer la peau et induire des réponses eczémateuses. Une revue publiée en 2010 a détaillé le rôle des protéines aéroportées (acariens de la poussière de maison, blattes, animaux domestiques et pollens) dans la dermatite atopique (DA). Les sujets atteints de DA ont une barrière cutanée déficiente (mutation du gène de la filaggrine) qui permet la pénétration des protéines aéroportées dans le derme par trois mécanismes : une activité enzymatique protéolytique, une activation des récepteurs de la protéase 2 activée PAR2 ( Protease Activated Receptor-2), et la fixation de l’immunoglobuline E qui entraîne une augmentation de l’inflammation (5). Un article, rapporté par F. Lavaud dans OPA Pratique n°275 (avril 2014), fait état de la présence d’allergènes alimentaires dans les maisons et en particulier dans la poussière de matelas (6). Toutes ces données renforcent la notion de dermatite de contact aéroportée. Conclusion Le rôle joué par les allergènes aéroportés est important dans la pathologie respiratoire et cutanée de l’enfant. Jusqu’à ces dernières années, les mesures préventives, bien que recommandées par les allergologues, ne sont pas suffisamment appliquées. Actuellement, des campagnes d’information permettent aux parents de mieux comprendre les risques encourus par leurs enfants aussi bien à l’intérieur des maisons que dans les lieux publics et à l’école (7). Dans la dermatite atopique, la mise en évidence des allergènes responsables respiratoires ou alimentaires par les tests cutanés et en particulier par les patchtests, permet d’expliquer en partie les mécanismes de sensibilisation. Observation n°2 Les allergènes aéroportés sont le plus souvent des aéroallergènes communément appelés pneumallergènes. L’histoire que nous rapportons est d’origine alimentaire et correspond à l’apparition de manifestations sévères à la suite d’inhalation de particules allergéniques alimentaires en suspension dans l’air. Sébastien est âgé de 4 ans lorsqu’il nous consulte pour des manifestations respiratoires à type de toux accompagnée de sifflements évoquant un début de crise d’asthme pour les parents. Ce jeune garçon souffre depuis sa première année d’un eczéma sévère traité successivement par des bains émollients et des dermocorticoïdes associés à des antibiotiques en période de surinfection. On retrouve dans la famille des antécédents atopiques avec une mère atteinte d’eczéma et d’asthme depuis l’enfance, un père souffrant d’une rhinoconjonctivite saisonnière d’origine pollinique et un frère aîné âgé de 7 ans suivi pour une rhinite persistante et un asthme modéré. Sébastien a été nourri exclusivement au sein pendant les 3 premiers mois. Un régime diversifié a été progressivement institué associant protéines lactées bovines, légumes, viandes et fruits. L’œuf a été introduit vers l’âge de 6 mois et le poisson un mois plus tard. C’est précisément à cette période, qu’apparaissent les premiers signes cutanés, Sébastien est alors âgé de 8 mois. Les lésions prédominent d’abord au niveau des joues et des plis de flexions, puis s’étendent sur une grande partie du corps. Ces lésions très prurigineuses, troublent le sommeil de l’enfant qui se gratte intensément au niveau des parties découvertes (figure 1). Le bilan montre une sensibilisation importante pour le poisson, l’œuf et les acariens. Figure 1. Manifestations cutanées sévères du visage après contact aérien aux allergènes du poisson. Lorsque nous examinons Sébastien, nous sommes d’abord frappés par l’aspect de sa peau d’une sécheresse extrême que l’on retrouve sur tout le corps. L’existence d’un signe de Dennie Morgan confirme le terrain atopique. Les lésions cutanées sont de différents types : – lésions suintantes, croûteuses, surinfectées, d’autres lichénifiées, le tout laissant des surfaces très réduites de
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