Guy DUTAU, allergologue, pneumologue, pédiatre, CHU de Toulouse
Pendant de nombreuses années, une allergénicité croisée entre les pollens de graminées et les allergènes végétaux non polliniques, situés en particulier dans les tiges et les feuilles des plantes, a été considérée comme probable. Toutefois, cette possibilité d’homologie est relativement faible et n’explique que très partiellement les symptômes de rhinite, d’asthme ou d’anaphylaxie survenant chez les patients uniquement atteints de symptômes allergiques au contact des végétaux. C’est surtout le cas des employés qui s’occupent de l’entretien des espaces verts, mais aussi des particuliers, surtout les adeptes du jardinage ou de loisirs de plein air. Ces situations sont mal connues, voire inconnues de nombreux praticiens de première ligne, pédiatres et généralistes.
Tableaux cliniques Plusieurs tableaux cliniques ont été décrits dont la survenue inclut l’inhalation d’aérosols d’allergènes, le passage transcutané d’allergènes végétaux via une peau lésée, des réactions de contact à type d’eczéma, les effets de l’effort, du stress, et ceux du soleil. Certaines de ces affections sont des maladies professionnelles (1). Allergie au jus de pelouse L’allergie au jus de pelouse (AJP) associe une activité physique et une exposition aux végétaux au cours de l’entretien des espaces verts comme le désherbage, le fauchage des hautes herbes et la coupe du gazon (2-8). L’AJP affecte les professionnels, mais aussi les particuliers. Les premiers cas ont été décrits à la fin des années 1970 par Niinimaki et coll. (2) qui ont effectué des scratch-tests a avec du gazon frais et trituré chez 149 patients atteints de pollinoses aux graminées, parmi lesquels 6 avaient une rhino-conjonctivite en tondant le gazon. Ces tests furent négatifs. Ces auteurs montrèrent, mais sans trouver d’explication, que les patients atteints d’allergies polliniques n’étaient pas sensibilisés aux mixtures d’herbes qui, par conséquent, ne contenaient pas d’allergènes croisant avec les pollens des plantes étudiées. Dès 1977, la possibilité de réactions allergiques à la coupe du gazon avait été identifiée, mais elle resta longtemps confondue avec l’allergie pollinique dans l’esprit des médecins, y compris celui des allergologues. Presque 20 ans plus tard, en 1995, Subiza et coll. (2) ont rapporté le cas d’un homme de 25 ans, jardinier depuis 4 ans, qui, au bout de 2 ans d’activité, présentait des épisodes de rhinite avec prurit, éternuements, toux et asthme. Ces épisodes avaient nécessité à plusieurs reprises son admission aux urgences. Les caractéristiques cliniques principales de ce patient étaient particulières : I) ses symptômes survenaient uniquement lors de la coupe de gazon à base d’ivraie (Lolium perenne ; angl. : raygrass) ; II) il n’avait aucun symptôme pendant les vacances et même au printemps, au moment de la pollinisation des graminées ; III) son examen clinique était normal ainsi que l’exploration fonctionnelle respiratoire en dehors d’une discrète hyperréactivité bronchique. Le diagnostic d’AJP fut affirmé par les résultats suivants : i) les pricktests (PT) étaient positifs vis-à-vis d’un extrait de feuilles (induration de 11 mm x 9 mm) et contre les pollens d’ivraie (induration de 7 mm x 5 mm), mais, chez 5 témoins, ils étaient négatifs à la fois pour les feuilles et le pollen d’ivraie ; II) le dosage des IgE sériques spécifiques (IgEs) était modérément positif visà- vis des extraits de feuilles (0,36 IU/ml) et du pollen (0,97 UI/ml) ; III) le test de provocation bronchique (TPB) en double aveugle vis-à-vis des extraits de feuilles était fortement positif avec chute de 49 % du VEMS (au bout de 20 minutes) et de 21 % (au bout de 8 heures), mais le TPB était négatif chez deux témoins atteints d’asthme non allergique. Les auteurs avançaient alors plusieurs explications : I) le rôle de l’effort physique, mais il était très modéré ; II) l’inhalation de moisissures présentes sur les feuilles des végétaux et dispersées par la coupe du gazon, mais les PT étaient négatifs pour ces moisissures ; III) et surtout une sensibilisation aux allergènes des feuilles d’ivraie. À l’appui de l’hypothèse d’une sensibilisation aux feuilles d’ivraie, les arguments retenus étaient : I) la sensibilisation aux feuilles ; II) l’existence de deux cas antérieurs semblables décrits par Morrow- Brown (4) et Fernandez-Caldas (5) qui pouvaient être expliqués par une sensibilisation aux feuilles de graminées chez des patients atteints à la fois d’une pollinose et d’urticaire au contact des feuilles, quelle que soit la saison de l’année. Finalement, constat important, le sérum du patient réagissait à plusieurs protéines de poids moléculairecompris entre 34 à 80 kilodaltons (kDa). Une allergie par inhalation d’aérosols de jus de graminées, formée au cours de la coupe du gazon — allergie au jus de pelouse — était alors évoquée (3). En 2006, Ledent et coll. (6) ont rapporté deux nouveaux cas d’AJP, survenus l’un au moment de la coupe de l’herbe, l’autre au cours du ramassage du gazon coupé. Le patient n°1, non sensibilisé au pollen de dactyle ou à diverses moisissures dont Alternaria et Cladosporium, présentait une importante réaction cutanée au jus de pelouse (induration à 10 mm) avec un test témoin codéine positif à 5 mm. Le patient n°2, atteint de rhinoconjonctivite allergique, avait des PT positifs au pollen de dactyle (induration à 22 mm) et au jus de pelouse (induration à 4 mm). Chez ces deux patents, le dosage des IgEs par la technique du Rast ® était positif au jus de pelouse (0,33 kUA/l et 9,5 kUA/l). Ces allergies, le plus souvent professionnelles, surviennent chez les jardiniers et les employés qui s’occupent de l’entretien des espaces verts, les jardiniers, mais aussi chez certaines personnes de la population générale qui font du jardinage. Les symptômes ne sont pas spécifiques (conjonctivite, éternuements, toux, urticaire, asthme, anaphylaxie), mais les circonstances de survenue sont très évocatrices. En effet, la manipulation de gazon tondu et l’inhalation d’aérosols de jus de pelouse au moment de la coupe sont responsables des symptômes allergiques, le plus souvent indépendamment d’une allergie pollinique, mais il peut exister quelques exceptions. En 2006, un allergène de 56 kDa présent dans le jus de pelouse a été reconnu par les IgEs des patients de Ledent et coll. (6-8). C’est la Rubisco, une sous-unité de la ribulose 1,5-diphosphate carboxylase/oxygénase, enzyme qui permet la fixation du CO 2 dans la biomasse végétale b. A priori, ces observations sont rares, car nous n’en avons recensé qu’une dizaine (2-8), mais il est possible que leur fréquence soit sous-évaluée, car elles sont encore confondues avec une pollinose. Il n’est pas exclu que l’effort soit un facteur aggravant. Le port de masques de protection est conseillé aux jardiniers professionnels ou amateurs atteints d’allergie au jus de pelouse. Réactions cutanées allergiques et toxiques Gambillara et coll. (1) classent ces réactions en 5 chapitres : I) les dermatites de contacts allergiques aiguës (placards, macules, vésicules, bulles) et chroniques (avec lichénification et parfois infection) ; II) les dermatites de contact irritatives (mécaniques ou chimiques) ; III) les urticaires de contact IgE-médiées associées à des toxines et non IgE-médiées chez les sujets atopiques ; IV) les phytophotodermatoses, le plus souvent phototoxiques, rarement photoallergiques ; V) les dermatites de contact par allergie aux bois. Dermatites de contact allergiques Elles se caractérisent par des lésions qui s’étendent au-delà de la zone touchée par les allergènes de la plante en cause, ce qui les distingue de la dermatite de contact irritative qui reste limitée aux zones de contact. Les lésions apparaissent 5 à 7 jours après le premier contact avec l’allergène pour récidiver par la suite après chaque contact, mais plus rapidement, en 1 ou 2 jours (1). Les personnes exposées sont aussi celles qui pratiquent le jardinage. Les plantes responsables sont très nombreuses, mais on peut indiquer par exemple les chrysanthèmes, les primevères, l’ail et l’oignon. La liste des substances responsables, variables selon la famille des plantes est impressionnante (1). Citons, par exemple, les alkyls-catéchols et résorcinols (Anacardiacées), lactones et sesquiterpènes (Composées), les fucocoumarines (Apiacées telles que carotte, persil, céleri), les flavonoïdes (primevère), etc. Il existe d’autres substances responsables de dermatite de contact allergique comme en Amérique du Nord le poison ivy (lierre toxique) c et le poison oak (chêne toxique) d. Le mancenillier ( Hippomane mancinella, angl. : manchineel tree) de la famille des Euphorbiacées est un arbre toujours vert de 2 à 10 mètres de haut qui pousse en particulier aux Antilles et en Amérique centrale. Il est présent sur les plages où il sert de coupe-vent et de stabilisateur du sable. La sève de l’arbre contient une substance toxique qui servait à « empoisonner » les flèches des chasseurs. Les autochtones évitent soigneusement cet arbre, mais pas les touristes ! Le contact avec les feuilles ou le fruit (pomme des plages) entraîne une dermatose avec érythème puis lésions bulleuses. L’antidote le plus souvent utilisé est l’olivier du bord de mer (Bortia daphnoïdes). Dermites de contact irritatives Dans ce groupe complexe on incrimine des causes mécaniques comme des lésions cutanées provoquées par des épines (rosiers), des poils irritants (orties), des glochides e (cactées), souvent inversement proportionnelles à la taille de l’épine (1), et des causes chimiques qui sont très nombreusescomme les enzymes protéolytiques (papaïne, broméline), l’acide formique (orties), la capsaïcine (piments), mais il en existe beaucoup d’autres (1). Anaphylaxie par contact cutané d’allergènes végétaux Quelques observations d’anaphylaxie par contact cutané avec certains allergènes végétaux chez des individus dont la peau peut être saine, mais plus souvent abrasée ont été rapportées. Dans ces cas, la plupart des patients avaient des antécédents d’allergie pollinique. Miesen et coll. (10) ont décrit le cas d’un homme de 33 ans qui, après une chute sur un terrain de football ayant entraîné une importante abrasion cutanée prétibiale, mesurant 10 cm x 16 cm avec lacération de la peau, développa un choc anaphylactique avec collapsus. Son état clinique s’améliora rapidement après une oxygénothérapie, une perfusion de sérum salé et de la clémastine IV. La forte élévation de la méthylhistamine sérique au moment du collapsus (297 mmol/l) était en faveur d’un mécanisme IgE-dépendant. Chez ce patient qui avait des antécédents d’urticaire de contact aux herbes, les PT furent positifs vis-àvis de plusieurs graminées. Les auteurs expliquent les symptômes d’anaphylaxie par la
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