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Est-il possible de devenir allergique aux colorants et aux additifs alimentaires ? Revue critique
Guy DUTAU, Allergologue, pneumologue, pédiatre, CHU de Toulouse

Une communication de plus en plus fréquente des marques alimentaires indique que leurs produits transformés contiennent moins d’additifs et de colorants…
Contexte Une communication de plus en plus fréquente des marques alimentaires indique que leurs produits transformés contiennent moins d’additifs et de colorants. Le 21 novembre 2019, l’Anses (Agence sanitaire de sécurité sanitaire) nous informait que « 22 % du total des plats que nous consommions en étaient dépourvus (a) ». La revue Que Choisir précisait cependant qu’elle considérait que 4 des 46 additifs les plus fréquents étaient classés « verts », c’est-à-dire acceptables : caroténoïdes (colorant E160a), carbonate de sodium (E500, poudre à lever), pectines (E440, gélifiant) et anthocyanes (colorant E163) (b). Et d’ajouter que la raison du classement « vert » des deux éléments sus-indiqués était « qu’il s’agissait de produits naturels qui venaient probablement en substitution de produits de synthèse ». En d’autres termes, le lecteur pouvait comprendre que « ce qui est naturel est dépourvu de risque » à l’inverse de ce qui est « artificiel » ou de « synthèse », c’est-à-dire « chimique » ! Existe-t-il des raisons scientifiquement documentées pour valider ces affirmations, en particulier « Peut-on devenir allergique aux colorants et aux additifs ? », tel est l’objectif de cette revue. On remarquera au passage que « Les Français veulent moins d’additifs… tout en maîtrisant leur porte-monnaie » selon une étude du « distributeur Arlès Agroalimentaire, spécialisé en ingrédients et additifs fonctionnels » (c). Définitions et classifications Additifs La directive 89/107 de la CEE du 21 novembre 1988 définit les additifs alimentaires comme « toute substance non consommée comme aliment en soi, habituellement non utilisée en tant qu’ingrédient dans l’alimentation, possédant ou non une valeur nutritive… (d)». Leur adjonction aux aliments est utile pour améliorer la conservation, la stabilisation ou les caractéristiques organoleptiques du produit fini. Aux doses utilisées, un additif ne doit exposer la santé du consommateur à aucun danger et répondre à des critères de pureté. Dans chaque produit, les fabricants doivent préciser la présence et la quantité d’additifs. La directive 94/34/CE ajoute quelques précisions telles que « l’autorisation à quelques États membres à appliquer des législations qui interdisent l’utilisation de certains additifs dans la production de denrées alimentaires spécifiques, considérées comme traditionnelles et fabriquées sur leur territoire (e)». Une classification donnée par Moll (1) recense 24 additifs alimentaires selon leur utilisation et leurs propriétés (tableau 1). Plus précisément, les additifs alimentaires sont distingués selon leurs propriétés, en colorants, conservateurs, agents de texture (gélifiants, épaississants, émulsifiants), arômes et édulcorants (glutamates, vanille, vanilline, etc.), gélatines, contaminants (toxines, amines biogènes). Colorants Les colorants alimentaires sont répartis en trois catégories en fonction de leur mode d’utilisation : I) pour colorer la masse et la surface ; II) pour colorer uniquement la surface ; III) pour certains usages particuliers comme la coloration des croûtes de fromage (f). Le règlement de l’Union européenne (UE) portant le n°1093 du 16 octobre 2014 a modifié le précédent texte qui concernait la coloration de divers fromages (cheddar, chester, gouda) : « L’extension de l’utilisation de la cochenille, de l’acide carminique et des carmins (E120) aux fromages au pesto rouge et du rocou, de la bixine et de la norbixine (E160 b) aux fromages au pesto rouge et vert, constituant une mise à jour de la liste de l’UE (2). » Dans l’UE, le colorant ou l’additif est affecté de la lettre « E » pour « Europe », suivie d’un numéro. Par exemple, la tartrazine (synonymes : Food Yellow 4 ou 74 705 FD&C Yellow No. 5 pour la FDA [Food and Drug Administration]) est appelée plus simplement E102 dans l’UE (tableau 2). Les colorants pharmaceutiques sont souvent les mêmes que les colorants alimentaires et leur classification est la suivante : 1. matières colorantes minérales (carbonate de calcium, oxyde de fer, dioxyde de titane) ; 2. matières colorantes d’origine minérale telles que les colorants jaunes (caroténoïdes, canthaxanthines, curcuma, etc.), bruns (caramel), bleus (indigotine), verts (chlorophylles), noirs (charbon végétal) ; 3. colorants organiques de synthèse, de couleur jaune (tartrazine, jaune de quinoléine, bêtacarotène, etc.), orange (jaune orangé S), rouge (azorubine, coccine nouvelle, érythrosine), noire (noir brillant), brune (brun chocolat) (3). Comme cela est indiqué dans le « contexte », les termes « additifs et colorants » inquiètent beaucoup le public. Toutefois, cette appellation désigne un très grand nombre de substances très différentes les unes des autres : colorants, antioxydants, conservateurs, arômes, édulcorants, releveurs de goût, agents de texture, gélifiants, émulsifiants (etc.). Certains d’entre eux sont capables de provoquer des effets indésirables : benzoates, carmin, érythrosine, gélatine, glutamate de sodium, nitrites, sulfites, tartrazine, vanille, vanilline). Mais d’autres sont sans risques comme l’additif E330 dont l’histoire, déjà ancienne, est néanmoins exemplaire ! Cette phobie des colorants et additifs est illustrée par un tract dénommé « Circulaire de Villejuif ». En effet, en 1976, une rumeur se propagea, basée sur un tract ronéotypé – « La Circulaire de Villejuif » – qui comportait une liste d’additifs alimentaires dont 187 étaient considérés comme « toxiques » par l’instigateur de la rumeur et 27 comme « suspects ». Ce tract profitait de la notoriété du célèbre hôpital qui était totalement étranger à l’élaboration de cette liste. Le caractère farfelu (au minimum) ou mensonger (en réalité) était illustré par le cas de l’additif E330, présenté comme le plus dangereux, alors qu’il s’agissait simplement de l’acide citrique que l’on trouve en abondance, comme chacun aurait dû le savoir, à l’état naturel, dans les divers agrumes. L’Institut Gustave- Roussy publia évidemment des démentis (g). Toutefois, ce tract réapparaît pér iodiquement sur le Net… Cette rumeur qui associe « un contenu mensonger » et « une usurpation de l’émetteur » est, selon les termes de Jean-Noël Kapferer (h), « la plus importante rumeur de ces dernières années tant par sa longévité que par sa pénétration géographique (i)». Elle fut démentie à plusieurs reprises par l’Institut Gustave-Roussy ainsi que par « 60 millions de consommateurs » qui la qualifiait de « totalement fantaisiste (j) » : en dehors de E330 (acide citrique (k), cette rumeur concernait aussi les additifs E102 (tartrazine), E110 (jaune orangé S), et E220 (dioxyde de soufre). Opinions du grand public et des spécialistes Grand public Dans le grand public, et même chez les médecins, les colorants et les additifs seraient considérés comme potentiellement responsables d’un grand nombre de réactions adverses à type d’intolérances ou d’allergies, thème qui constitue l’objectif de cette revue. Une requête sur le moteur de recherche Google pour l’item « allergies aux colorants » donne environ 4 150 000 résultats en date du 29 janvier 2021, ce qui démontre l’intérêt du public pour ce thème. À la date du 7 avril 2015, d’autres requêtes plus ciblées donnent aussi un grand nombre de réponses : « allergies aux colorants alimentaires » (environ 446 000), « allergies aux additifs alimentaires » (environ 588 000), « allergies aux conservateurs alimentaires » (environ 461 000) et surtout « allergies aux colorants pharmaceutiques » (environ 842 000). Nous savons que ces chiffres ont « explosé » en 5-10 ans, multipliés par 5 ou plus. Sites Internet Plusieurs sites sur Internet indiquent également les symptômes de ces allergies, mais les réponses sont souvent fournies par des médecins, ou même des spécialistes, et non par le grand public. Ainsi, pour « allergie aux colorants alimentaires symptômes » nous trouvons 798 000 résultats. Venant en tête, la réponse de www.allergienet.com indique : « Les symptômes cliniques sont principalement cutanés (eczéma 20 %, urticaire 3 %), suivis de l’asthme 0,5 %. Les autres manifestations compor tent l’érythème polymorphe, l’œdème laryngé, l’anaphylaxie et la photosensibilisation liée au jaune orangé S (E110) (l) ou à l’érythrosine (E127). » Le contenu des informations d’Eassafe.com donne aussi des indications solides qui semblent validées médicalement (m). En 2018, dans HAL archives ouvertes.fr, Lemoine et Tounian (4) titraient que « les allergies aux colorants alimentaires sont une pathologie à évoquer avec parcimonie », une opinion que nous partageons comme le montrera la présente revue. En interrogeant la base de données des articles indexés par PubMed, on obtient 2 216 références pour « allergy to food dyes » (entre 2011 et 2019), 4 755 pour « allergy to additives », 540 pour « allergy to flavouring agents », et 8 171 pour « food additives allergy » ! Toutefois, ces références sont très (très) loin de représenter des cas cliniques et des séries, et il faut s’appuyer sur des données issues de l’expérience de quelques allergologues, acquises depuis les années 1980 qui furent marquées par la publication des ouvrages de DA Moneret-Vautrin (2,3), et celle de la série des Dictionnaires des allergènes ensuite entre 1998 (1 re édition) et 2010 (6 e édition), complétée en 2014 par Le Dictionnaire des principaux allergènes (5,6). Face à une question de santé dont le « public (m) » pense qu’elle est importante, comment distinguer le vrai du faux, les croyances de la réalité ? C’est l’objectif de cette revue. Mécanismes possibles des réactions adverses aux colorants et additifs Par analogie avec les mécanismes des allergies alimentaires (AA), on peut considérer que les réactions adverses au groupe « additifs/colorants » sont de type immunologique ou non immunologique (figure 1). Dans le premier cas, il s’agit des mécanismes immunopathologiques bien connus (allergiques) selon la classification en 4 stades de Gell et Coombs. Le second cas est celui des mécanismes non
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