Aller au contenu principal
TwitterFacebookLinkedinPartager

Allergologie

Publié le  Lecture 14 mins

Des allergènes et des allergies rares et insolites – Partie III

Guy DUTAU, Allergologue, pneumologue, pédiatre, Toulouse

-

LES ALLERGIES INDUITES PAR LE BAISER : DU GOOD NIGHT KISS ET DU PASSONNIATE KISSING AU KISS OF DEATH ! Le premier cas de syndrome d’allergie induite par le baiser (SAIB) est attribué Wüthrich en 1997 (1),mais cette variété d’allergie par procuration a été décrite pour la première fois en 1964 par Thérond (2). Il s’agissait d’une allergie de contact au mercurochrome faisant suite à un baiser donné par un grand-père (qui venait de se badigeonner la gorge avec un collutoire au mercurochrome) à son petit-fils (qui avait une allergie au mercurochrome) (2). Wüthrich a cependant décrit le premier cas de ce syndrome associé à une médiation par les IgE sous le titre de « Oral allergy syndrome to apple after a lover’s kiss ». Il s’agissait d’une jeune femme de 24 ans atteinte de pollinose aux arbres et aux graminées depuis l’âge de 12 ans et d’un syndrome d’allergie orale (SAO) aux fruits et légumes crus (pomme, carotte, céleri et noisette). Quelques semaines avant de consulter, elle avait développé un œdème labial et un prurit buccal après avoir embrassé son ami qui venait de consommer une pomme (1). Quelques années plus tard, Wüthrich et coll. (3) rapportaient un autre cas très spectaculaire impliquant l’arachide. Il s’agissait d’un médecin de 30 ans, atteint d’allergie connue à l’arachide, qui développa un angio-œdème des lèvres et un prurit buccal quelques minutes après le baiser amoureux de sa compagne qui venait de le rejoindre. Celle-ci avait consommé des cacahuètes 2 heures plus tôt, et, connaissant l’allergie de son compagnon, elle s’était brossé vigoureusement les dents, rincé la bouche et avait mâché du chewing-gum, mais cela n’avait pas suffi ! Par la suite, plusieurs autres cas ou séries ont été publiés (4), mais leur fréquence est probablement sous-évaluée, estimée de 1 à 10 p. 100 dans des populations d’individus suspects d’allergie alimentaire ou réellement atteints de cette affection (in 4). Les symptômes du SAIB sont le plus souvent (70 % des cas) locaux ou régionaux, légers à modérés dans 70 % des cas. Toutefois, ils sont parfois graves à type d’angio-œdème, de bronchospasme, de détresse respiratoire aiguë ou d’anaphylaxie (5-7). À l’aide de 17 observations d’allergies aux fruits à coque, Hallet et coll. (8) ont analysé les principales caractéristiques de SAIB. Les baisers sont donnés sur les lèvres le plus souvent (9 fois), mais aussi les joues (5 fois), les lèvres et le cou (2 fois), le visage (1 fois), les lèvres et les yeux (1 fois), le visage et le cou (1 fois). Le baiser est donné par la mère (4 fois), le père (1 fois), le fils (1 fois), la fille (1 fois), un fiancé (7 fois), un partenaire (2 fois), le mari (7 fois), ou l’épouse (1 fois). Vingt-cinq aliments étaient en cause : arachide (11 fois), noisette (4 fois), pistache (2 fois), amande (1 fois), pois (1 fois), noix du Brésil (2 fois), noix de pécan (2 fois), noix de Macadamia (1 fois) (8). En dehors de l’arachide et des fruits à coque, on retrouve dans la littérature d’autres aliments : pomme, kiwi, poisson, crevette, lait de vache, antibiotique (ampicilline) (in 4). La physiopathologie fait intervenir une régénération aberrante des fibres du nerf auriculo-temporal lésé par un traumatisme ou une infection, donnant lieu à la formation préférentielle de fibres sympathiques, expliquant une stimulation des glandes sudoripares et des vaisseaux sous-cutanés à la suite de l’ingestion d’aliments ou de boissons (9,10). La régénération aberrante du tissu composant les fibres nerveuses du nerf auriculo-temporal sectionné est à l’origine de l’ensemble des symptômes survenant lors de ces syndromes : érythème (flushs gustatifs unilatéraux), sudation (syndrome de Frey), larmes (syndrome des lames de crocodile ou syndrome de Bogorad) (9,10). En pratique, il faut systématiquement rechercher un SAIB chez les patients allergiques aux pollens et atteints d’un SAO aux fruits et aux légumes, chez ceux qui ont une AA sévère à seuil réactogène faible, quel que soit l’allergène, et aussi au cours des anaphylaxies dites idiopathiques. Le diagnostic est clinique, reposant sur un interrogatoire soigneux : les symptômes apparaissent quelques minutes après le baiser. Le temps entre la consommation de l’allergène et le baiser est très variable, de quelques minutes à plus de 2 heures, durée de persistance des allergènes dans la salive. Tous les âges sont concernés par le SAIB. Selon les circonstances du baiser, on distingue le SAIB par baiser d’amour ( lover’s kiss), par baiser affectueux ( good night kiss) et celui qui peut menacer le pronostic vital ( kiss of death). L’information des patients atteints d’AA à seuil réactogène bas est capitale. Dans les formes graves, chez l’enfant, il faut organiser un projet d’accueil individualisé en milieu scolaire, et, à tout âge, préconiser l’emploi d’un stylo auto-injecteur d’adrénaline. Références Wüthrich B. Oral allergy syndrome to apple after a lover’s kiss. Allergy 1997 ; 52(2) : 235-6. Thérond C, Dutau G. Le premier cas d’allergie par procuration induite par le baiser date de 1964. Rev Fr Allergol Immiunol Clin 2007 ; 47(1) : 35-6. Wüthrich B et al. Kiss-induced allergy to peanut. Allergy 2001 ; 56(9) : 913. Dutau G, Rancé F. Le syndrome des allergies induites par le baiser. Rev Fr Allergol Immunol Clin 2006 ; 46(2) : 80-4. Monti G et al. Kiss-induced facial urticaria and angioedema in a child allergic fish. Allergy 2003 ; 58(7) : 684-5. Liccardi G et al. Drug allergy transmitted by passionate kissing. Lancet 2002 ; 359(9318) : 1700. Steensma DP. The kiss of death: a severe allergic reaction to a shellfish induced by a good-night kiss. Mayo Clinics Proceedings 2003; 78(2) : 221-2. Hallett R et al. Food allergies and kissing. N Engl J Med 2002 ; 346 : 1833. Bednarek J et al. Frey’s syndrome. Am J Surg 1976 ; 5(2) : 97-104. Freedberg AS et al. The auriculo-temporal syndrome a clinical and pharmacologic study. J Clin Invest 1948 ; 27(5) : 669-76 SYNDROME DES FLUSHS GUSTATIFS UNILATÉRAUX La description du syndrome auriculo-temporal (figure 1) est attribuée à Lucje Frey, née en 1889 à Lwow (Pologne) et morte en 1943 dans le ghetto de cette ville sous l’occupation nazie (1,2). La première, elle décrivit le « syndrome des sueurs gustatives » chez un soldat polonais qui avait été blessé par un boulet ayant entraîné une infection parotidienne (2). Ce syndrome survient dans 5,3 à 53 % après une chirurgie parotidienne, ainsi que d’autres atteintes des glandes parotidiennes ou sous-maxillaires, chirurgicales ou traumatiques (fractures de la mâchoire ou de l’articulation temporo-maxillaire), inflammatoires et infectieuses (adénites, parotidites). Les symptômes apparaissent en général au bout de plusieurs mois, temps nécessaire à la régénération nerveuse, mais ce délai peut être beaucoup plus long. Les symptômes sont alors souvent mineurs ou négligés par les patients. Figure 1. Syndrome auriculo-temporal : flush gustatif en bande apparu quelques minutes après le repas, totalement indolore, sans symptôme associé : surtout ne pas confondre avec une allergie alimentaire et ne pas proposer des régimes d’éviction ou des examens paracliniques inutiles ! (coll. G. Dutau). Le syndrome des flushs gustatifs débute parfois dans la petite enfance. Une recherche sur Pub-Med et des recherches annexes nous ont permis de recenser plus d’une trentaine de cas entre 1970 et 2006(3). Il s’agit le plus souvent de cas isolés, mais il existe aussi des séries de 3 à 8 cas. Récemment, après avoir soutenu une thèse de médecine, Sybille Blanc (4) a publié une étude française, rétrospective, multicentrique, qui a permis d’identifier 48 cas de syndrome de Frey, 35 unilatéraux et 13 bilatéraux. Une délivrance vaginale artificielle (application de ventouse ou de forceps) est significativement associée aux formes unilatérales (p 0,001) (figure 2). Figure 2. Chez ce nourrisson, une application de ventouse à la naissance est responsable de la lésion nerveuse (coll. G. Dutau). L’évolution est le plus souvent favorable avec régression (57 %) ou disparition des symptômes (20 %) alors que les symptômes initiaux ne persistent que dans 23 % des cas (4). Cette évolution favorable est le plus souvent observée dans les formes unilatérales (p = 0,016). Les symptômes débutent au cours des premiers mois de la vie, entre 3 et 6 mois au moment de l’introduction des aliments solides. Les symptômes sont associés aux efforts masticatoires et aux stimuli digestifs. Le flush débute dès les premières bouchées, puis disparaît peu après la fin du repas. Les douleurs sont exceptionnelles (5,6). La chaleur locale est souvent augmentée. La présence de sueurs locales est en faveur d’un syndrome de Frey stricto sensu ; leur absence est typique du « flush gustatif unilatéral ». Dans les observations où l’évolution est connue, les symptômes persistent entre 1 et 2 ans, puis ils ont tendance à diminuer, puis pratiquement à disparaître. Dans la majorité des cas, la survenue de symptômes au moment des repas ou l’absorption de boissons fait penser à une allergie alimentaire (AA), affection fréquente chez l’enfant. En dehors de l’ingestion d’aliments solides sans autre précision (7-11), les auteurs signalent que les symptômes font suite à la consommation d’aliments particuliers : tomates et fraises ; bonbons, tomates et épices ; chewing-gums, arômes acides (citron et fraise) et noix ; fruits (orange, banane, citron), bonbons, pain et pomme, orange et melon ; jus d’orange, tomates, oignons, bonbons (7-11). Incriminés à tort en tant qu’allergènes potentiels, ces aliments constituent en fait des stimuli par leur goût acide ou l’effort masticatoire qu’ils nécessitent. Le diagnostic est clinique, évoqué devant le contraste entre la rapidité d’apparition des symptômes après la prise

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :