Dépistage biologique d’une allergie alimentaire : attention aux évictions inutiles !
Caroline KLINGEBIEL*, Céline PALUSSIÈRE**, Édouard SÈVE***, *Synlab Provence, Marseille, **Cabinet médical, ***Service de pédiatrie générale, Centre hospitalier sud-77, Fontainebleau
On parle depuis quelques années d’« épidémie silencieuse » de maladies allergiques. En effet, depuis 40 ans, le nombre de patients allergiques ne cesse d’augmenter, avec actuellement environ 25 % des Français touchés par une allergie(1). Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 50 % de la population mondiale sera touchée en 2050. La morbidité liée au terrain atopique (rhinite allergique, asthme, dermatite atopique, allergie alimentaire) augmente à travers le monde. Les données épidémiologiques récentes confirment cette tendance, avec 40 % de la population mondiale atteinte par les pathologies atopiques(2). Les allergies alimentaires constituent en particulier un enjeu majeur de santé publique. Selon les études et les définitions retenues, le taux de prévalence varie en Europe de 1,4 à 3,8 % des enfants atteints(3,4).
Outre leur augmentation de fréquence, ces allergies sont de plus en plus sévères avec des enfants polyallergiques dès le plus jeune âge. La pollution, les changements d’habitude de vie, les procédés agro-alimentaires et le recours aux aliments industriels transformés, l’utilisation plus grande des antibiotiques, sont incriminés chez les patients y compris ceux qui n’ont pas un terrain génétiquement prédisposé (5). En parallèle, le nombre d’allergologues n’a fait que décroître, comme pour d’autres spécialités médicales, faute de renouvellement suffisant et ce malgré la création d’un DES d’allergologie en 2017 (6). Cette situation rend plus difficile l’accès aux consultations en allergologie. Ce phénomène est aggravé par une méconnaissance ou une banalisation des symptômes, avec en moyenne 7 ans d’errance diagnostique et thérapeutique entre les premiers signes et la consultation avec un allergologue (7). Ce retard de prise en charge contribue à l’aggravation de la maladie, à l’altération de la qualité de vie des patients et de leur entourage, et à laisser le champ libre aux idées fausses en matière d’allergie alimentaire (AA). La gradation des soins en allergologie a été formalisée dans la note d’information N° DGOS/ R4/2022/265 du 16 décembre 2022 relative à la structuration de la prise en charge en allergologie sur les territoires (8). Le niveau 1 concerne les soins médicaux de proximité dispensés par les médecins généralistes et les autres spécialistes médicaux disposant de connaissances et de compétences générales mais non spécifiquement formés à l’allergologie. En cas de suspicion d’AA, ceux-ci se trouvent face à un double défi : ne pas ignorer le risque de gravité d’une AA, mais aussi ne pas demander d’éviction alimentaire inutile. Quand suspecter une allergie alimentaire ? Nous ne parlerons ici que des allergies immédiates médiées par les immunoglobulines E (IgE) et non des autres formes d’allergies, notamment retardées, dont la prévalence est plus faible et la prise en charge ne relève pas d’une exploration biologique de routine. Les allergies alimentaires (AA) sont des réactions d’hypersensibilités, avec des mécanismes physiopathologiques distincts selon la classification de Johansson de 2001 et plus récemment celle proposée par l’Académie européenne d’allergie et d’immunologie clinique (EAACI) en 2023 (9,10). La classification physiopathologique de Johansson est actuellement retenue en pratique courante pour la démarche diagnostique (figures 1 et 2). « Nous proposons d’appeler hypersensibilité alimentaire une réaction indésirable de l’organisme vis-à-vis d’un aliment (figure 1). Lorsque les mécanismes immunologiques ont été démontrés, le terme approprié est celui d’allergie alimentaire et, si le rôle des IgE est mis en évidence, on parle d’allergie alimentaire IgEmédiée. Toutes les autres réactions, auparavant parfois appelées « intolérance alimentaire », doivent être qualifiées d’hypersensibilité alimentaire non allergique. Les réactions allergiques sévères et généralisées aux aliments peuvent être classées comme anaphylaxie. » Figure 1. Classification des hypersensibilités aux aliments (adaptée de Johansson. Allergy 2001). Figure 2. Démarche diagnostique devant des manifestations d’hypersensibilité après ingestion d’aliments. La sévérité des allergies IgEmédiées est variable. Les réactions peuvent être bénignes, avec une simple atteinte cutanée à type d’urticaire, ou sévères sous forme de réaction généralisée avec risque de choc anaphylactique. Des critères diagnostiques d’anaphylaxie (11) sont proposés par l’EAACI, qui prennent en compte la connaissance du statut allergique du patient et/ou son exposition éventuelle à l’allergène. L’anaphylaxie est hautement probable si un des 3 critères suivants est rempli : – apparition aiguë des symptômes suivants (de quelques minutes à plusieurs heures) : atteinte de la peau, des muqueuses ou des deux (urticaire généralisée, prurit ou bouffées vasomotrices, gonflement des lèvres, de la langue et de la luette) ; – et au moins l’un des éléments suivants : • atteinte respiratoire : dyspnée, respiration sifflante, bronchospasme, stridor, réduction du débit expiratoire de pointe (DEP), hypoxémie, • diminution de la tension artérielle ou hypotonie (collapsus), syncope, incontinence. Deux ou plusieurs des symptômes suivants survenant rapidement après l’exposition à un allergène probable pour ce patient (de quelques minutes à plusieurs heures) : – atteinte de la peau et des muqueuses : urticaire généralisée, démangeaison-rougeur, gonflement des lèvres, de la langue et de la luette ; – troubles respiratoires : dyspnée, respiration sifflante, bronchospasme, stridor, réduction du DEP, hypoxémie ; – baisse de la tension artérielle (TA) ou symptômes associés : hypotonie (collapsus), syncope, incontinence ; – symptômes gastro-intestinaux persistants : douleur abdominale, crampes abdominales, vomissements. Diminution de la tension artérielle après exposition à un allergène connu pour ce patient (de quelques minutes à plusieurs heures) : – nourrissons et enfants : TA systolique basse (en fonction de l’âge) ou diminution > 30 % ; – adultes : TA systolique 90 mmHg ou diminution > 30 %. Avant de devenir allergique, le patient a pu consommer le même aliment pendant des années sans réaction. La première phase de sensibilisation, pendant laquelle le système immunitaire synthétise des IgE spécifiques, ne s’accompagne pas de signe clinique. Ce n’est qu’au contact suivant avec l’aliment que les IgE spécifiques vont activer les différents médiateurs de la réaction allergique et la déclencher. Dès lors que le sujet est devenu allergique, les symptômes récidivent à chaque prise, avec une sévérité variable, notamment en fonction de la quantité d’aliment consommée ou bien l’existence concomitante de cofacteurs comme le stress, la fatigue, l’alcool, la prise de certains médicaments (AINS) ou les efforts physiques (12,13). L’histoire naturelle de l’allergie est imprévisible, elle peut guérir avec le temps ou s’aggraver. L’anamnèse doit rechercher la présence d’un terrain atopique familial. Cette prédisposition génétique favorise la sensibilisation allergique et augmente le risque de développer plusieurs maladies allergiques au cours de la vie. Ensuite, l’interrogatoire s’efforce de vérifier l’imputabilité de l’AA dans les symptômes observés. Cliniquement, les symptômes décrits par le patient et surtout la chronologie d’apparition de la réaction après le contact alimentaire (classiquement dans les 2 heures) orientent le médecin vers une allergie de type immédiate. À ce jour, la réalisation d’un bilan biologique est indiquée dans les tableaux cliniques précédemment cités. Elle n’a pas d’intérêt dans les allergies retardées ou les intolérances alimentaires (figure 1). Diagnostic de certitude Le diagnostic d’allergie immédiate IgE-médiée peut être posé lorsqu’il y a concordance entre des tests (cutanés ou biologiques) positifs et une histoire clinique convaincante : – la réaction clinique doit avoir eu lieu dans les 2 heures suivant l’ingestion de l’aliment, qui n’a pas été reconsommé par la suite ; – les tests allergologiques recherchent la présence d’IgE spécifiques vis-à-vis d’un allergène, c’est ce qu’on appelle une sensibilisation. Elle peut être mise en évidence in vitro par dosage biologique ou in vivo par tests cutanés réalisés avec des extraits commerciaux (prick-tests) ou des échantillons des aliments suspectés (prick to prick-tests). Selon les recommandations de la Société française d’allergologie (SFA) publiées en 2021 (14,15), le dosage des IgE spécifiques est indiqué en cas de discordance entre le tableau clinique et les tests cutanés ou lorsque ceux-ci sont impossibles à réaliser du fait d’un dermographisme, d’un eczéma diffus, de la prise d’antihistaminiques ou parce que le médecin ne les pratique pas. La méthode de référence diagnostique est le test de provocation par voie orale. Il consiste à faire ingérer au patient des doses croissantes de l’aliment incriminé, sous surveillance médicale et en milieu hospitalier. En raison du risque de réaction clinique à l’ingestion, les indications sont spécifiques : confirmation de la présence d’une allergie avec détermination de la dose réactogène, vérification de la guérison d’une allergie ou de la tolérance ou acquisition de tolérance à un aliment. Tests biologiques utilisés dans le diagnostic d’allergie alimentaire En attendant la consultation chez un allergologue et afin de ne pas retarder la prise en charge des patients chez qui le praticien évoque une allergie alimentaire, différents tests biologiques pour la mise en évidence d’IgE spécifiques sont disponibles. Cette mise en évidence n’est pas toujours accompagnée de symptôme clinique : il s’agit alors de sensibilisation et non d’allergie. L’interrogatoire et le lien avec la clinique sont indispensables dans l’interprétation des résultats. À noter que le dosage des IgE totales n’a pas d’intérêt dans le dépistage d’une AA, pas plus que la recherche d’une éosinophilie. Recherche d’IgE spécifiques vis-à-vis d’allergènes unitaires En cas d’histoire clinique évidente permettant de suspecter un aliment en particulier, une recherche ciblée d’IgE spécifiques vis-à-vis de l’aliment suspecté peut être demandée d’emblée. La spécificité de ces tests est bonne (70-100 %), avec une sensibilité variable (40-70 %) selon l’aliment (15). Les résultats sont quantitatifs, en kUA/L habituellement (ou kU/L) avec un seuil de détectabilité à 0,1 kUA/L. En cas de résultat positif, dans le cadre d’une histoire clinique évocatrice d’allergie de type immédiat avec cet aliment, la mise en sécurité du patient est primordiale : – éviction de l’aliment incriminé jusqu’à la consultation avec l’allergologue ; – prescription d’une trousse d’urgence adaptée à la sévérité de la réaction. Un stylo auto-injecteur d’adrénaline doit être prescrit en cas de risque d’anaphylaxie ou d’angiœdème laryngé, son utilisation doit
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