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Faut-il chercher une étiologie à une urticaire chronique ?
Marie-Sylvie Doutre, Hôpital Haut-Lévêque, CHU de Bordeaux, Pessac - Philippe Humbert, CHU Hôpital Saint-Jacques, Besançon

L’urticaire chronique est une pathologie définie sur un symptôme et une durée. Son étiologie est très diverse, et lorsqu’on ne la retrouve pas, on dit qu’elle est idiopathique. Selon les auteurs, la proportion des urticaires chroniques idiopathiques varie de 20 à 80 % des cas. Pour expliquer cet écart, il semble bien que la recherche plus ou moins volontaire et poussée d’une cause y soit pour quelque chose. Les professeurs Marie-Sylvie Doutre et Philippe Humbert se sont livrés à l’exercice quelque peu périlleux du pour et du contre la recherche d’une étiologie à une urticaire chronique. Le risque était évidemment qu’à la fin on ne sache plus trop quoi penser. Mais vous verrez, les deux avis se complètent et se rejoignent sur un point : l’importance fondamentale de l’interrogatoire.
Illustration/figure 1. Lésions micropapuleuses sur le thorax évocatrices d’une urticaire cholinergique. Chercher une étiologie à une urticaire chronique : inutile Le bilan étiologique d’une urticaire chronique a deux défauts qui le rendent inutile pour certains auteurs : il est très souvent négatif, ou bien les informations qu’il apporte n’influencent pas l’attitude thérapeutique. La définition de l’urticaire chronique est clinique. C’est une dermatose, érythémateuse et papuleuse, prurigineuse et fugace, évoluant de façon quotidienne ou quasi quotidienne depuis plus de 6 semaines. Quand l’interrogatoire et la clinique parlent L’interrogatoire et l’examen clinique sont essentiels, ils permettent parfois de faire le diagnostic étiologique. C’est par exemple le cas des urticaires physiques. Des lésions urticariennes, linéaires, secondaires au grattage ou à des frottements, se voient en cas de dermographisme. Chez un sujet jeune, des lésions micropapuleuses, épargnant le visage, les paumes et les plantes, provoquées par l’effort, la transpiration, le stress… évoquent une urticaire cholinergique (figure 1). Un oedème, parfois associé à un érythème, apparaissant quelques heures après une pression prolongée au niveau des fesses, des paumes, des plantes, s’observe dans l’urticaire retardée à la pression. C’est aussi souvent le cas des urticaires de contact, où la topographie initiale de l’éruption, toujours la même, est évocatrice du diagnostic. Même si les urticaires génétiques sont rares, la survenue chez un nourrisson, la présence de signes extradermatologiques associés, articulaires, digestifs, neurologiques… et l’existence de cas familiaux, permettent d’en faire le diagnostic. Mais très souvent, l’éruption urticarienne est « banale », prurigineuse et fugace, sans aspect particulier, sans topographie particulière (figure 2). Figure 2. Urticaire « commune ». À l’interrogatoire, il n’y a pas de signes extradermatologiques associés et aucun facteur déclenchant bien individualisé. Chez ces patients, il est inutile de faire un bilan étiologique : – parce que celui-ci est négatif dans la très grande majorité des cas ; – parce que, si des anomalies sont observées, elles n’influencent ni le traitement ni l’évolution de l’urticaire. L’interrogatoire et l’examen clinique permettent parfois, mais rarement, de faire le diagnostic étiologique. Quels examens pourrait-on demander ? Une biopsie cutanée ? En fait, les urticaires associées à une pathologie dysimmunitaire comme les dysthyroïdies, ont le plus souvent une histologie « banale » associant oedème dermique, dilatation des capillaires, discret infiltrat mononucléé périvasculaire. Par ailleurs, les images d’infiltrat neutrophilique ou de vasculite leucocytoclasique sont observées dans des urticaires communes, sans anomalie biologique ni signe systémique. Des tests allergologiques ? • Pour trouver la cause de l’urticaire ? Les urticaires chroniques aux pneumallergènes sont vraiment exceptionnelles. • Pour confirmer le terrain atopique ? L’interrogatoire est souvent suffisant, et il n’y aura aucune incidence de la mise en évidence d’un éventuel terrain atopique sur la prise en charge de l’urticaire. • Avec quels allergènes ? – des médicaments ? Les urticaires chroniques allergiques d’origine médicamenteuse sont exceptionnelles. Il s’agit en effet le plus souvent de mécanismes pharmacologiques (AINS, IEC, acide acétylsalicylique) (1) ; – des aliments ? Les urticaires d’origine alimentaire représentent moins de 3 % des urticaires chroniques. Il s’agit plus souvent d’une pseudo-allergie alimentaire due à un abus d’aliments histamino-libérateurs ou riches en histamine ou en tyramine ou d’excitants, et les tests allergologiques sont alors négatifs(2). Un test au sérum autologue ? Sa positivité correspond à la présence de facteurs libérant de l’histamine à partir des mastocytes et des basophiles, en particulier des autoanticorps anti-FCεRI, faisant alors parler d’urticaire autoimmune. Mais il présente plusieurs invonvénients : – ce test ne peut être fait qu’en suivant la réglementation des produits immuns dérivés du sang avec étiquetage et prise en charge du prélèvement par un centre de l’Agence française pour le sang ; – il est positif dans différents types d’urticaire, même chez des sujets n’ayant pas d’urticaire (3) ; – sa positivité ne modifie pas le traitement chez la plupart des patients. La recherche d’une infection ? Il s’agit d’un phénomène de mode évoluant au fil du temps (4)… • Dans les années 60, on recherchait une infection candidosique, le diagnostic reposant sur la présence de Candida dans les selles, la bouche… et des prick-tests positifs à la candidine, mais il n’y a aucune étude rapportant des résultats convaincants sur l’évolution de l’urticaire chronique après traitement antifongique ou désensibilisation. • Dans les années 70, c’est un foyer infectieux dentaire ou sinusien que l’on recherchait. Cependant, sa prévalence est très variable chez les sujets ayant une urticaire chronique, il n’y a pas de recherche systématique de ces foyers infectieux chez des témoins appariés. Par ailleurs, quand ces infections sont mises en évidence, l’effet du traitement antibiotique est variable et mal documenté. • Depuis une vingtaine d’années, l’association infection à Helicobacter pylori-urticaire chronique a fait l’objet d’un très grand nombre d’études. Mais les résultats sont discordants, selon les méthodes diagnostiques utilisées (sérodiagnostic ? test à l’urée ? fibroscopie gastrique ?), concernant la fréquence de l’infection chez les sujets qui présentent une urticaire chronique (20 à 80 % des cas selon les pays), la nature et la durée du traitement d’Helicobacter pylori ainsi que son efficacité sur l’urticaire chronique. En fait, la plupart des études ayant une méthodologie rigoureuse ne montrent pas d’effets favorables du traitement sur l’évolution de l’urticaire(5). • La recherche de parasites intestinaux est parfois proposée, mais en fait une seule étude cas témoin a été réalisée en Inde, qui ne montre aucune association significative. Le rôle d’une infection à Toxocara canis est aussi difficile à apprécier. Dans une étude datant de 2000, P. Humbert et coll. observent un test ELISA positif chez 25 des 111 urticaires chroniques qu’ils ont étudiées, soit une positivité de 19,5 % versus 12,7 % chez les sujets contrôles (6). Ces mêmes auteurs, dans un travail de 2009, signalent que les résultats du test ELISA sont non significatifs chez 84 patients avec urticaire chronique par rapport aux sujets contrôles et que le seul examen valable est un Western- Blot (7)… La recherche d’une maladie auto-immune ? En l’absence de signes associés (fièvre, altération de l’état général, manifestations articulaires…), la « découverte » d’un lupus, d’un syndrome de Gougerot-Sjögren ou d’une polyarthrite rhumatoïde devant une urticaire isolée, est rarissime. Parfois, il existe des anticorps anti-noyaux, un facteur rhumatoïde…, mais la présence de ces anomalies biologiques n’a pas d’incidence réelle sur la prise en charge de l’urticaire chronique. En revanche, un bilan thyroïdien est utile étant donné la fréquence de l’association urticaire chronique/ pathologie thyroïdienne auto-immune, un traitement étant parfois justifié sur le plan endocrinologique( 8). Cependant, il n’y a pas dans la littérature de séries suffisamment importantes menées en double aveugle comparant les effets du traitement hormonal versus un traitement par anti-H1 pour apprécier son véritable impact sur l’évolution de l’urticaire chronique. Deux études incontournables Quand on parle de bilan « étiologique » d’une urticaire chronique, il est incontournable de rapporter deux études de M.M. Kozel et coll. Dans son premier travail datant de 1998, 220 urticaires chroniques sont séparées en deux groupes : le groupe 1 dans lequel un bilan « minimaliste » (NF, VS) est réalisé, et le groupe 2 dans lequel les patients ont un bilan « complet » infectieux, immunologique, allergologique… On note une urticaire sans cause identifiable dans 47,3 % des cas du groupe 1 et 46,9 % du groupe 2, cette différence n’étant pas significative (9). Dans un travail de 2003, les auteurs proposent une revue de la littérature des études portant sur plus de 50 patients, évaluant les bilans effectués dans l’urticaire chronique. Dans les 29 études retenues, totalisant 6 462 patients, aucune relation n’a été notée entre le nombre de causes identifiées et le nombre d’examens réalisés. Les différents auteurs concluent leur travail sur le fait que c’est l’interrogatoire qui est le plus important, que les examens de routine n’ont que très peu d’intérêt et qu’un bilan n’est utile qu’en fonction des données de l’interrogatoire (10). Les examens de routine n’ont que très peu d’intérêt et un bilan n’est utile qu’en fonction des données de l’interrogatoire. Conclusion Quand l’interrogatoire et l’examen clinique n’apportent aucun élément d’orientation devant une urticaire chronique, une bonne prise en charge du patient remplace « avantageusement » la pratique d’examens complémentaires, qui ne cherchent qu’à rassurer (parfois) le malade et (surtout) son médecin. Il est en effet indispensable d’expliquer au patient sa maladie, de lui préciser les facteurs aggravants, environnementaux, médicamenteux, alimentaires, de le rassurer (les angiooedèmes associés à l’urticaire chronique sont exceptionnellement graves), de lui prescrire un traitement par anti-H1, de répondre à ses questions, de le revoir régulièrement et de modifier son traitement si nécessaire. Cela prend beaucoup plus de temps que de prescrire une longue liste d’examens complémentaires, mais, sans parler du coût, c’est beaucoup plus efficace et moins décevant pour le patient. Pourquoi il faut trouver une étiologie à une urticaire chronique Les vrais progrès de la médecine et de la thérapeutique, aujourd’hui, ont été de déceler une étiologie à des affections, et c’est grâce à cette médecine étiopathogénique qu
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